La Transpac (Mexique - Marquises)
LE DÉPART
10 Avril 2022
Il est 08:00 c’est parti mon kiki!
Ça y est on a largué les amarres du ponton 9 juste après que le soleil soit au dessus de l’horizon.
Les tasses à café encore pleines, la vaisselle dans l’évier, les hublots ouverts… bref on a quitté la marina de la Cruz comme s'il y avait le feu au lac! Richard, notre voisin de ponton a tout juste eu le temps de nous dire au revoir!!
Notre excitation… notre impatience de reprendre la mer … le large, a surgi de nos tripes ce matin.
Fuir la surconsommation! De toute façon, nos cartes bancaires ont déclaré forfait avant nous!
A 10:30 une légère houle 1/3 de face se fait sentir en même temps qu’un léger mal de mer. Je lâche toute lecture et me concentre à regarder l’horizon. Les conditions sont trop belles pour finir à fond de cale et dormir!
A 12h avant la sortie de la baie de Banderas, on touche enfin du vent. On hisse la grande voile et déroule le génois. On avance à 5,7 knots avec l’appui du moteur.
Vers 14h on peut finalement éteindre le moteur et continuer notre route sous voiles uniquement et pilote à vent ! Morgane se cale sur son premier bouchin, on est gîté à 10 degrés. Quel bonheur ! Plus un bruit de sourdine, de la pure glisse et même la houle semble avoir disparu! J’arrive à descendre dans le carré pour nous préparer une petite salade de tomates et mozzarella.
Le lâcher prise est en train de se mettre en place gentiment!
Ces derniers jours à terre étaient assez intenses. Avec notre procédure de départ du Mexique qui nous a pris quand même deux jours et deux aller-retour à Puerto Vallarta. La surprise de nos soldes insuffisants de nos cartes de crédit pour payer nos dernières courses et petits imprévus. Les derniers préparatifs de Morgane. La visite éclair à San Pancho due à un embouteillage de plus de deux heures…
En fait c’est drôle nous avons ce même sentiment ou plutôt cette même façon de faire quand on habitait en Suisse et qu’après plusieurs mois de boulot, il était temps de partir en vacances. L’avion décolle dans 24h… tu as fait tes bagages il y a deux semaines mais le jour avant de partir, tu te dépêches de vite encore dire au revoir à un ami ou visiter un endroit et tu cours vite acheter encore un truc à la Migros, et tu télécharges vite les derniers Paju et podcast du moment qui prennent bien sûr des plombes car la connection wifi est pourrie…
Bref je vous assure que même sur l’eau en voyageant autour du monde depuis 5 ans, on vit avant chaque grande traversée ce qu’on appelle: le stress du départ!
Mais nous voilà partis et pas questions de faire marche arrière si on a oublié un truc!
JOUR 2
11 Avril 2022
Depuis 24h notre vitesse moyenne est de 5,5kt avec un vent plus ou moins constant de secteur Nord qui souffle entre 10 et 15 noeuds et nous maintenons un cap au 240 degrés droit sur les Marquises! Morgane glisse comme sur un tapis roulant!
Le Pacifique, pour l’instant, porte bien son nom. Ses vagues sont bien rangées, sa houle est presque inexistante et sa couleur bleu roi délimite l’horizon à perte de vue. On espère que ces conditions de rêve perdurent pour les 20 prochains jours.
Les dauphins nous rejoignent de temps en temps, on les entend parler à travers la coque. Ils sont tous petits.
Ce matin trois Fous bruns s’intéressent au mât de Morgane. Ils tournoient au dessus du bateau. A se demander s'ils souhaitent se poser sur les barres de flèche et faire un bout de chemin avec nous?
Robin a veillé toute la nuit. Il m’a dit au réveil que nous avons croisé la route de 4 cargos. Ils transitaient du nord au sud.
Hier soir mon infection à l’oreille est revenue! Ça m’a mis KO. J’ai concocté une petite potion d’huiles essentielles (camomille lavande et eucalyptus avec de l’huile d’amande douce) dont j’ai imbibé un petit coton et que j'ai planté dans mon oreille pour le reste de la nuit. Ce matin ça allait déjà mieux.
Avec ces belles conditions de vent, on hésite à faire escale à l’île Socorro qui s’éloigne de plus en plus de notre route.
A la suite d’un magnifique soleil couchant, deux Fous bruns plutôt dans l’âge juvénile ont décidé de se poster au sommet du mât de Morgane! Ils s’agrippent à la barre de la girouette tant bien que mal et battent de leur ailes à chaque tangage plus ou moins fort du bateau.
Robin s’égosille, ébranle les haubans, la drisse du Spi, tape sur le mât. Bref après 5min, un fou s’envole, celui qui était placé le plus à l’extrémité. L’autre reste. Il a décidé de passé sa nuit à bord de Morgane! On étudie une autre stratégie pour le faire déguerpir… monter au mât pourrait marcher mais aucun d’entre nous n’a envie d’y rester toute la nuit! En plus la montée serait très acrobatique et même dangereuse car ça bouge quand même pas mal en ce moment!
Alors on hisse un sac à commission avec la drisse du spi. Mais rien à faire! Il n’a même pas peur !
Dommage que nous n’avons pas acheté ce pistolet à eau au marché aux puces de Buceria ! Il nous aurait sûrement aidé ce soir!
Robin a surnommé l’oiseau “caba”! (Petit nom du sac à commission)
UN CLANDESTIN A BORD
12 Avril 2022
On a un chouïa ralenti, on avance à 5,4 kt de moyenne depuis 24h et on a dû un petit peu “lofer” pour garder de la pression dans nos voiles. Donc notre route est légèrement trop Nord en ce moment. Mais si les prédictions de vent sont justes, on devrait reprendre un cap direct sur les Marquises ce soir ou demain et toucher un peu plus de vent.
Le ciel est bien couvert cette après-midi. Cela donne une couleur bleu argenté à l’océan.
“Caba” est descendu d’un étage! Il est depuis ce matin posté sur les barres de flèche. Il nargue ses potes qui essaient de se poser à tour de rôle mais sans succès.
C’est sympa d’avoir de la vie autour de nous quand on est si loin de la côte et du monde mais ça l’ai un peu moins quand on vous chie dessus!
L’ambiance est bonne à l’intérieur de Morgane. On dort beaucoup, Robin écoute des podcasts, moi un livre audio: “l’affaire Alaska Sanders” qui est juste génial!
On mange des avocats et on boit du Kombucha!
On s’est dit qu’on n'allait pas boire d’alcool pendant la traversée. Faire une pause, ça fait du bien après nos deux dernières semaines très festives à la marina de la Cruz!
La pêche aussi sera pour plus tard, quand la cambuse sera vide! Pour l’instant le frigo déborde de nourriture et notre appétit n’est pas encore à crier famine. C’est même difficile de savoir ce qu’on veut manger! Je me réjouis d’être en forme pour avoir envie de cuisiner des bons petits plats.
Pour l’heure, il est temps d’aller nettoyer le pont mitraillé de guenons!
LE CIEL SE COUVRE
13 Avril 2022
Les fous bruns nous ont quitté et les nuages nous ont couvert le ciel d’une couche de nuages gris. Le problème, ce sont les batteries qui se chargent principalement grâce à nos panneaux solaires et qui dit nuage dit moins de soleil et donc moins d’énergie. Le réfrigérateur est la source consommant le plus mais avec ce qu’il y a à l intérieur, pas question de l’arrêter. Il nous faudra peut-être faire tourner le moteur pour recharger le tout bientôt. Espérons que les nuages se dissipent. Quant à nous, le moral est bon et nous essayons déjà d’anticiper la zone de convergence intertropicale appelée plus communément “le pot au noir”.
Il s’agit d’une ceinture de quelques kilomètres du nord au sud proche de l’équateur où les vents sont très faibles et où de gros orages peuvent éclater. Pourvu qu’on puisse passer sans trop de moteur et sans trop de grains violents. Nous y serons sans doute autour du 19 avril…
LE VENT A DISPARU?
14 Avril 2022
La nuit dernière fut vraiment très désagréable. Vers 2h30 du matin, le vent commença drastiquement à diminuer. Les voiles claquèrent à chaque pétole de vent ou vague harassante.
Pour espérer avancer encore un peu avec notre pilote à vent nous dûmes prendre la direction de Hawaï afin de garder au maximum nos voiles gonflées. Cependant les vagues venant de tous les sens rendirent la navigation effroyable. Les voiles n’arrêtèrent pas de claquer à chaque molle de vent. Morgane se dandinant de gauche à droite puis de haut en bas, il fut impossible de fermer l’œil dans des conditions pareilles!
Puis soudain plus de vent! Rien de rien. Juste un océan complètement désordonné éclairé par la lune.
Je disait le premier jour que nous naviguions sur un tapis roulant? Il a pourtant bien existé. Enfin, juste le premier jour, le temps de nous donner bonne impression! De nous mettre en confiance.
Vers 3h du matin, nous décidâmes donc d’affaler nos voiles face au vent en évitant de passer par dessus bord et de mettre en marche le moteur avec notre pilote électrique. Après cette opération délicate à sec de toile, nous reprîmes notre cap sur les Marquises et finalement nous pûmes fermer l’œil quelques heures dans notre capharnaüm.
Peu avant le lever du soleil, il faisait une chaleur étouffante dans l’habitacle. Robin eut peur que le moteur surchauffe. Le vent était revenu timidement. Il décida de remettre les voiles mais cette fois en ciseaux pour faire du plein cul!
En un instant, un bonheur grandiose fut ressenti autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du bateau! Nous glissâmes à nouveau sur une sorte de tapis roulant … faites que ça dure!
CONDITIONS INSTABLES
15 Avril 2022
Le tapis roulant est un peu désorganisé! C’est le gros bordel en fait ici! Et le vent est très faible. Les voiles claquent! Et puis d’un coup ça glisse bien… le vent forcît, le plan d’eau devient super agréable pour quelques minutes, quelques heures. Et puis c’est de nouveau le champ de bataille. Bref on prend notre mal en patience. On lit, on dort (je ne sais pas comment d’ailleurs), on doit être tellement fatigué que même avec ce brouhaha on arrive à s’endormir!
Robin joue du Ukulele! Il commence à sortir des bons petits sons.
J’ai fait un curry de lentilles, patates douces et aubergines pour ce soir et demain… c’est pas encore très évident de cuisiner car le bateau bouge dans tous les sens. Je danse d’un pied à l’autre avec mise en mouvement du bassin en avant en arrière pour ne pas perdre l’équilibre tout en coupant des légumes en petits carrés. Avec le ventilateur dans la figure j’arrive à ne pas être malade! Et Robin me confirme que le curry est bon!
Le temps est blanc il n'y a pas beaucoup de ciel bleu en ce moment. Les Fous nous rendent visite de temps à autre et il y en a toujours un qui essaie de se poser au sommet du mât de Morgane.
On craint ce pot au noir. Aujourd’hui on a repris une météo avec routage et ça ne s’annonce pas très bon. Il nous fait passer dans une zone de 6 jours sans vent ! On espère vraiment que ça va bouger en notre faveur d’ici la semaine prochaine.
A LA DOUCHE
15 Avril 2022
On avance toujours, pas très vite mais on maintient tout de même la cadence de 4,7kt de moyenne. Merci au courant océanique de nous pousser dans la bonne direction. Depuis cette nuit on a décidé de faire un cap plus ouest afin d’éviter une grosse zone de grains et très instable qui se situe à notre sud. De la pluie on va s’en prendre dès demain probablement et pendant tout le week-end avec un peu de vent on espère! Ça va être chaud et humide dans Morgane, un vrai bonheur!
Ce week-end de Pâques c’est pas la chasse aux œufs mais la chasse au vent constant pour Morgane et son équipage!
Du coup on se disait qu’on allait se doucher demain sur le pont sous la pluie et le vent. Mais finalement on craque pour aujourd’hui, on préfère se doucher à l’eau chaude dans le cockpit de Morgane sous un joli rayon de soleil. Ça fait du bien une petite douche après 6 jours de navigation. C’est comme si on enfilait une nouvelle peau! Ça redonne des forces et redynamise l’esprit!
On profite de bien se reposer encore aujourd’hui pour être d’attaque ces prochaines heures.
LA MACHINE À LAVER
16 Avril 2022
Cette nuit nous avons touché notre premier grain de pluie suivi d’un vent plus soutenu. On a donc réduit les voiles. En commençant par prendre un ris dans la grand voile. Notre vitesse ne diminuant pas. On a repris un deuxième ris. Puis enrouler notre génois à la moitié. Enfin la cadence a repris une allure à 5 kts et notre fidèle pilote à vent Zorro reprenait le contrôle!
Depuis que nous avançons avec les voiles en ciseau le vent dans le dos, ça roule dans Morgane. De gauche à droite non stop. Impossible de dormir. Même en cherchant une position confortable, c’est à dire se caler de part et d’autre des banquettes ou sous la table. Immobiliser son corps comme dans un siège baquet. Cependant il y a toujours une partie du corps qui bouge, qui se crispe à chaque mouvement. La séance de guénâge ici est gratuite! Les torticolis seront la conséquence…
Bref cet océan nous fait endurer une vraie machine à laver!
Manger dans une assiette avec une fourchette et un couteau devient scabreux. A table nous sommes deux clowns en train de jongler ! On choisit donc des aliments plutôt secs en ce moment. La soupe est reportée à plus tard.
Prendre la météo est devenu notre passe-temps favori! Car cela dure entre 15 et 30 minutes pour télécharger un fichier météo que nous appelons Gribs qui représente une micro zone de 500 miles nautiques sur 4 jours. On a le temps de lire un chapitre et faire une micro sieste entre deux! Heureusement nous avons souscrit un abonnement avec téléchargement de données illimitées au téléphone satellite.
Sinon la facture serait impayable!
Les fichiers sont actualisés 4 fois par jours. Donc 4 fois par jour nous téléchargeons une nouvelle météo avec un nouveau scénario : par où passer pour avancer au mieux?
Car cette zone de pot au noir n’arrête pas d’évoluer. Passer à travers relève d’une question de chance, de loterie!
Donc pour l’instant gardons le cap et croisons les doigts.
JOYEUSES PÂQUES
17 Avril 2022
On aurait pas rêvé mieux! A bord de Morgane c’est séance Tagada avec giclée d’embruns par dessus le cockpit sous un grand soleil et 15 noeuds de vent.
Dans le carré, au menu saucisse à rôtir avec la sauce au poivre vert de la Migros, enrobé d’une moiteur de 81% et chaleur à 30 degrés. Les ventilateurs sont malheureusement en mode charge. On va crever avant de toucher le pot au noir!
On se passe à tour de rôle l’éventail que j’avais ramené du Vietnam…
Ce matin, on arrête de faire de l’Ouest. On a décidé d’aller affronter la ZIC (zone intertropicale de convergence) cap au 210 degrés. Avec un peu de moteur, ça devrait passer!
LE SPECTACLE
18 Avril 2022
Il y a des événements qui te font vite oublier les dures épreuves par lesquelles tu dois passer pour vivre un moment de pure bonheur. Un moment intime avec la nature.
Traverser un océan c’est couper contact avec la terre (ou presque) enfin c’est ne plus voir de terre donc d’humain ou plutôt de vie terrestre pendant plusieurs jours voir plusieurs semaines.
C’est donc chercher le contact à l’intérieur de soi. C’est méditer sur beaucoup de choses. C’est se retrouver entouré d’eau, de vague et de vent. C’est remarquer différentes teintes de bleus, croiser la route des poissons volants et des mammifères marins et surtout c’est admirer le vol incessant de ces oiseaux marins migrateurs.
Ce soir un Fou nous a fait un spectacle de la chasse au poisson volant. Juste à côté de Morgane pendant plusieurs minutes. Il prenait son élan en contournant le haut du mât et plongeait en piqué sur sa proie… pas besoin de battre ses ailes, sa ressource lui suffisait pour raser les vagues à pleine vitesse et attraper son butin sans même se mouiller. Juste fabuleux!
Cela fait 7 jours que nous sommes en mer, bien amarinés aujourd’hui même si les conditions de navigation sont encore difficiles et ce passage du pot au noir qui nous prend la tête, nous restons positifs et nous sommes heureux d’être là.
Finalement, on ne peut pas se plaindre, nous avons un fidèle pilote à vent qui tient la barre depuis 7 jours. Un frigo rempli de bonnes chose à manger, de l’eau, des bons bouquins, pas de circulation en vue, de la chaleur (un peu trop) mais surtout une belle carotte au bout de l’étrave : LA POLYNÉSIE!
Allez il est temps de s’assoir sur le pont et d’admirer le coucher de soleil!
1/3 DU PARCOURS
19 Avril 2022
Un sentiment partagé pour ce 8ème jour de mer entre satisfaction et anticipation.
La satisfaction d’avoir déjà parcouru plus de 1/3 de la route totale et que nous tenons les 5 noeuds de vitesse moyenne dans ces vents plutôt faibles et cette peur anticipative de faire de longues heures de moteur voire des jours pour passer ce pot au noir…
Les prévisions changent chaque jour et sans doute ce soir ou cette nuit les vents cesseront de nous pousser pour au minimum 24h… Croisons les doigts pour que ça ne soit pas plus.
Morgane semble se plaire dans cette océan à 28 degrés et se dandine gentiment comme un pingouin sur la banquise (le besoin de fraîcheur se fait entendre!)
Aucune casse ou problème technique n'ont été remarqués jusqu’à ce jour.
On règle les voiles, génois avec tangon, sans, en ciseaux, on prend un ris (réduction de la grand-voile de 1/3), deux ris, puis on remet tout.
Bref on navigue du mieux qu’on peut.
LE POT AU NOIR
19 Avril 2022
Nous y voilà au cœur de ces mastodontes que nous appelons plus communément Cumulonimbus.
Ils nous encerclent, des cheminées s’élèvent dans le ciel rempli d’étoiles.
On continue à naviguer, on tient les 4,5 noeuds. Ils se rapprochent assez rapidement ou plutôt nous nous dirigeons droit sur eux. On a l’impression d’être comme dans un cirque. A la différence d’être normalement spectateur, nous voilà planté au milieu de la scène à brandir une pancarte marquée « prenez place chers amis, le spectacle va commencer »! Le ciel s’assombrit, des éclairs nous dévoilent la grandeur du nuage. WoW il est immense! La ligne de l’horizon disparaît, l’océan s’aplatît et le vent s’arrête subitement.
On a juste le temps d’enrouler le génois que commence la rincée! Des trombes (de seaux) d’eau se déversent sur Morgane.
Ce qui nous enchante car elle avait bien besoin d’un dessalage!
Robin a enfilé son ciré jaune et il est perché sous les panneaux solaires pour veiller à une éventuelle manœuvre.
Mais tout va bien, 5 minutes après que la pluie soit passée, Robin redéroule le génois et nous continuons notre route sous voiles portés par le vent jusqu’à la prochaine rencontre 1h30 plus tard. Même scénario. Cependant après le passage du nuage, cette fois le vent tourne de 180 degrés, il souffle à 10 noeuds maintenant droit dans notre figure. Il est temps d’allumer le moteur pour nous échapper de cette zone !
La zone intertropicale était un grave sujet de préoccupation pour les marins jusqu’à la fin du XIX siècle. Sous ces latitudes, les navires à voile (surtout les plus lents d’entre eux) pouvaient rester encalminés plusieurs jours, voire plusieurs semaines, dans un climat malsain, avec des alternances de pluies diluviennes, de grains d’orage, de risées folles et de calme plat. Aux tourments physiques s’ajoutait un effet démoralisant d’impuissance face aux éléments.
Bref on ne va pas tout gâcher maintenant. Vroom vroom c’était parti pour quelques heures de moteur …
24H DANS LE POT AU NOIR
20 Avril 2022
Loin de nous le timing : métro boulot dodo, Loin ! La difficulté de savoir quel jour on vit et depuis combien de jour nous sommes en navigation est bien réelle. Si notre journal de bord n’existait pas on ne se questionnerait même pas. Ce qui témoigne aussi notre fatigue accumulée ainsi que nos repas épars.
Le ronronnement de notre cher moteur Peugeot nous a bercé toute la nuit et on peut même dire que le sommeil était bon malgré la sourdine et la température quasi insoutenable qui régnait dans l’habitacle.
Car de peur qu’il surchauffe, nous avons laissé ouvert son compartiment et mis en place un petit ventilateur! On se serait cru dans la salle des machines du Corsica Ferry.
A l’aube du mardi 19 avril, on était cuits comme des poulets rôtis! Heureusement le vent s’est remis à souffler. Malheureusement pile dans notre direction. On marchait plus qu’à 2 noeuds avec le moteur à 2000 t/m à lutter contre les vagues et le vent.
Donc nous avons éteint le moteur et remis les voiles et avons tiré des bords au près serré comme on dit.
Cependant les grosses vagues désordonnées ne nous rendaient pas la chose facile. Impossible de tenir le fameux prés serré. L’angle du vent était tellement mauvais que sur la carte on pouvait voir notre trace décrire un Z mais encore plus serré.
Bref L’horreur! On avançait pas, on stagnait!
Puis au coucher du soleil un gros grain nous est passé dessus. Ça faisait du bien un peu de fraîcheur. Ensuite le vent est tombé. Alors on a rallumé le moteur pendant 2h, le temps de passer les gros nuages.
Enfin à 21h, cette bascule de vent tant attendue est enfin arrivée. Du vent venant du nord-ouest a commencé à souffler. On a donc éteint le moteur et déroulé le génois pour à nouveau naviguer mais cette fois-ci dans la bonne direction!
Cap au 230 moussaillon! Et que ça tienne toute la nuit!!
LE PILOTE CASSE!
21 Avril 2022
Depuis cette nuit, 3 heures du matin nous avons remis en marche notre bon vieux moteur Peugeot. Avec son compartiment ouvert et ventilé, et la chaleur extérieure du Pacifique, le mercure dans le thermomètre a atteint les 33 degrés. On sent bien que nous ne sommes plus très loin de la ligne de l’équateur. Je commence à m’habituer à cette chaleur étouffante. Par contre Robin a plus de mal. Il sue au moindre geste.
On ne respire plus sans son propre petit ventilateur suspendu à 10 centimètres de notre figure. C’est devenu notre meilleur ami! On dort avec, on cuisine avec, on va aux toilettes avec, bref il ne nous quitte plus. Même en mode charge on s’arrange pour trouver un câble assez long pour qu’il continue son job, nous maintenir en vie!Franchement si ces deux petits ventilateurs achetés à $ 2,5.- dans un magasin de seconde main à Seattle, tiennent le coup jusqu’aux Marquises je les bénis du ciel!
A midi, nous nous déplaçons au milieu de cette immense tache bleue sans vent sous un soleil de plomb, quand tout d’un coup le pilote électrique casse!!
Oui, là sous nos yeux ou plutôt à l’éraflure du talon de Robin, le pilote se pète en deux!!! Miséricorde !!
Imaginez tenir la barre pendant deux jours sous cette moiteur étouffante sans vent et dans les vagues venant de tous les côtés.
Sans aucun point de repère, si les yeux partent dans le vague ne serait-ce qu’une minute nous voilà dévié de notre route, direction l’Alaska ou le Panama… Bon heureusement il y a pas beaucoup de trafic par ici, aucun risque de collision mais une route en zigzag …
Non c’est impensable! Impossible de tenir cette barre les yeux rivés sur le compas pendant des heures!
Robin alias Mc Gyver, m’assure qu’il peut le réparer. Il descend dans le carré et se met à bricoler pendant que je m’efforce de tenir notre cap au 230 les yeux rivés sur le compas.
20 minutes plus tard tout en sueur le t-shirt trempé, il remonte dans le cockpit avec le pilote rassemblé, collé à la colle de contact et scotché au duck tape pour assurer une parfaite solidité!
Et ça fonctionne depuis 6h! Il fait remarquablement bien son boulot. Quand on voit la droiture de notre trace sur la carte, la réparation a fait ses preuves! Oh mais quelle chance d’avoir sous la main de la colle de contact et surtout un bricoleur qui aime réparer!
A 17h, une brise du nord-est se lève, juste assez forte pour nous permettre de dérouler de la toile. Mais toujours appuyé au moteur, nous continuons notre route en direction de la Sortie de ce fichu pot au noir.
A MI-CHEMIN
22 Avril 2022
Après 27 heures de moteur sur un océan plutôt plat, une petite brise de cul se fait enfin sentir. Serait- ce la fin du pot au noir? Non, mais on y est presque!
C’est 8:00 du matin ; il est temps d’arrêter notre moteur Peugeot et de hisser les voiles!!
L’océan est quasi plat. On saisit alors l’opportunité d’avancer sous grand SPI. C’est toujours un peu délicat de naviguer sous spinnaker avec Morgane. Car on est très vite sur-toilé. Du coup, on doit tenir la barre non stop car Morgane pourrait partir au tapis rapidement avec ces 120 mètres carrés de toile offert généreusement par Marc Colomb, un ami régatier de Morges.
Pendant que Robin tient la barre et les 6 noeuds de vitesse, je profite de la stabilité hors pair du bateau pour faire les grands nettoyages à l’intérieur de Morgane et cuisiner un déjeuner de rois.
Maintenant il faudrait plus qu’il pleuve sur Morgane pour couronner cette belle journée. En effet, depuis ce matin les grins nous passent tous à côté. C’est du vrai délire! Et moi je rêve d’une douche sous cette chaleur équatorienne.
Et puis voilà enfin mon souhait qui se réalise. A 15h, je peux prendre ma douche sur le pont de Morgane! On a même le droit à un deuxième rinçage! C’est fabuleux! L’océan s’est aplati d’un seul coup sous cette pluie torrentielle. Le spectacle est grandiose!
Le petit problème, c’est que le nuage nous a piqué le vent au passage! On n'avance plus qu’à 3 noeuds et encore…
Puis les grains se succèdent… si j’avais su j’en aurait pas demander autant!
A 16:30 on est obligé de rallumer le moteur pour appuyer notre cadence sous voile si on ne veut pas stagner dans cette zone incertaine. On vise plein sud cette fois-ci en espérant sortir de ce pot au noir le plus rapidement possible.
Nous sommes à mi-parcours! Nous avons déjà parcouru 1400 MN, l’équivalent d’environ 2500 kilomètres en 11 jours. Le plus dur est derrière nous. On ne peut que se réjouir de la suite!
PLEIN SUD
22 Avril 2022
Enfin du vent et du vent du Sud. Ce matin du 12ème jour de navigation, après avoir subi les vagues au moteur toute la nuit, nous sentons sur nos joues un souffle d’air légèrement différent.
Hop hop! On s’active à hisser la grande voile et dérouler le génois afin de voir le cap que l’on peut obtenir avec cette brise plein sud. Malheureusement la première tentative nous repousse trop à l’ouest et nous voulons éviter à tout prix cette zone de peur de retomber dans le piège du pot au noir.
Alors re-moteur pour quelques heures plein sud. Puis vers le milieu de la journée, l’angle du vent semble tourner de quelques degrés à l’Est. Tiens, tiens, ça semble bien ça!!
On remet les voiles et cette fois le cap est correct malgré une gîte de Morgane importante car nous marchons au prés serré (on remonte le vent au plus près). À l’intérieur du bateau c’est séance d’escalade pour passer d’une pièce à l’autre tellement le bateau est gîté. Faire la cuisine relève de l’exploit car seule la cuisinière montée sur cardan offre un endroit où on peut déposer quelque chose à plat sans l’attacher.
Quelques grains sont encore dans les parages et nous arrosent de temps en temps.
Les fichiers météo dans la ZIC sont peu fiables et de ce fait nous nous efforçons de nous en éloigner du mieux qu’on peut.
Il nous aura fallu 68h de moteur au total pour en venir à bout. Nos réserves de diesel sont à présent faibles. Donc faire de la voile devient nécessaire.
A LA CAP
23 Avril 2022
Après une nuit en enfer, la matinée n’est pas meilleure. Il est 9:30 et nous décidons de nous mettre à la cape. C’est à dire de stopper le bateau face au vent!
Et nous attendons que ça se calme pour continuer!
Il y a des moments comme ceux-ci où on préférerait être ailleurs. Sur terre, par exemple, assis sur un banc à contempler la tempête qui sévit.
Admirer les vagues qui grossissent avec la puissance du vent. Voir s’effondrer leur crêtes blanches sur le bateau. Imaginer l’ocean qui ruisselle dans l’habitacle. Écouter le bateau qui tape sur l’eau à chaque passage de lame et voir son mât trembler sous le choc. Entendre le sifflement aigu du vent dans le gréement.
Et se demander quand est-ce que cela va s’arrêter?
Depuis 15h (de temps) et proches de la sortie du pot au noir, nos fichiers météo sont erronés! Pourquoi? On ne sait pas.
Enfin Chamade, un autre voilier en route pour Les Marquises avec qui nous sommes en contact, nous annonce par e-mail qu’à 3 jours proches du pot au noir c’est « Madame Soleil » qui fait la météo…!
Théoriquement il devrait souffler un petit 12 noeuds aujourd’hui et bien non Madame Soleil nous envoie du 30 noeuds!
Bref on prend notre mal en patience. Ce qui est rassurant c’est que depuis que nous sommes à la cape, nous sommes premièrement en sécurité et deuxièmement nous continuons malgré tout à avancer sur notre route à une petite vitesse de 2 noeuds grâce au courant.
Le temps de manger quelque chose et de faire une sieste que Robin veut déjà repartir. A condition d’avancer tout doucement afin d’éviter de prendre de l’eau à l’intérieur de Morgane.
A 12h nous nous remettons donc en route avec 3 ris dans la grande voile et un string de génois à l’avant. Le Speedo note 4 noeuds alors qu’en réalité, nous avançons à 5 noeuds grâce au courant. Et à cette vitesse Morgane passe beaucoup mieux les vagues.
A 15:30 nous remettons le régulateur d’allure en place. A lui de barrer Morgane.
CIAO LE POTO
24 Avril 2022
Il a failli nous retenir! Mais on a serré les fesses et on s’en est échappé de justesse!
Ah ! Sacré Pot au noir! La prochaine fois, on passera par un autre chemin.
Depuis hier soir nous marchons toujours au près serré (on remonte le vent) avec 2 ris dans la grand voile et 3/4 de génois déroulé. Le vent est encore un peu trop Sud mais il est censé tourner en notre faveur Sud Est dès demain. On avance à une bonne vitesse de croisière de 5,4 noeuds de moyenne.
Grâce au fort courant, la mer s’est aplatie, enfin il y a quelques fois des vagues qui se fracassent contre la coque mais je dois dire qu’on saute de moins en moins! On est toujours autant admiratifs de voir comment Morgane passe bien ces vagues.
Ça fait quand même drôle de s’imaginer que seulement 4mm d’épaisseur d’acier nous séparent de 6000 mètres de fond!
Si on maintient cette vitesse nous devrions arriver dans 8 jours.
Côté vivres, il nous reste 80 litres d’eau en bouteille plus 200L d’eau dans les réservoirs. Le frigo est encore bien plein de légumes et de fromage et les placards pleins à craquer de conserves. En effet, la chaleur insupportable et la difficulté de cuisiner gîté, nous fait vite perdre l’appétit.
D’ailleurs je recommande la transpacifique à tous ceux ou celles qui veulent faire un régime! C’est sans état d’âmes et ça fond comme neige en été ! Y passent aussi les muscles … surtout ceux des jambes.
Mais je ne me fait pas trop de soucis car à peinel’ancre jetée dans la baie de Taiohae, après une nage sprintée pour échapper aux requins, nous galoperons au sommet de la montagne avec nos parapentes sur le dos quotidiennement!!
IMPOSSIBLE DE TOUT ANTICIPER
25 Avril 2022
Alors que Morgane a pris son rythme de croisière avec cette lame de travers qu’elle doit à tout moment couper de son étrave, nous, les occupants du bord, avons plus de mal à subir cette gîte et ces fracas de vagues sur la coque. Amanda depuis hier soir souffre d’une infection brutale et sourde à l’oreille gauche. Je décide donc de ralentir la cadence du bateau afin d’améliorer le confort à bord. Ça marche mais malgré cela sa souffrance est trop grande et nous décidons de démarrer un traitement antibiotique. Elle se repose depuis et cela semble se stabiliser.
Que peut-on faire au milieu d’un océan dans de pareilles circonstances?
On a beau se préparer techniquement et mentalement, à penser à presque tout, il y a toujours un imprévu. Et il faut faire avec.
L’océan Pacifique quant à lui est changeant. Il peut te caresser la coque avec son courant portant lissant la surface de l’eau et le jour suivant t’envoyer vagues sur vagues courtes impossible à franchir avec aisance…
Je le qualifierais de capricieux ou bipolaire quand il attaque fort.
J’aimerais tout de même finir sur un point positif qui est le fait que demain, oui demain 26 avril, nous allons franchir l’équateur. La latitude ZÉRO et donc passer dans l’hémisphère sud. Partie du globe que Morgane n’a jamais connue…
SANTÉ NEPTUNE!
26 Avril 2022
Au milieu de la nuit, à 3h40 du matin (heure locale), nous avons franchi la ligne de l’équateur. La lune formée d’un fin croissant orange s’était dépêchée de se lever pour assister au spectacle. De même que des milliers d’astres illuminant notre passage escorté par plein de petits poissons qui scintillaient et sautaient à la surface autour de Morgane dans un élan d’encouragement.
Nous nous devions de trinquer avec Neptune. Le remercier pour nous offrir cette vie sur l’eau dans le plus grand bonheur depuis 5 ans. Pour cela nous lui avons donné une bonne gorgée de Chartreuse que nous avions gardée à bord depuis le départ. Arrgh c’était bien fort!!
Cette ligne invisible nous redonne du courage et de la motivation pour les 6 ou 7 jours qui nous restent avant de fouler à nouveau la terre ferme…
Dès lors, avons-nous la tête en bas ou en haut?
17ÈME JOUR DE MER
27 Avril 2022
Il y a 4 ans, nous traversions l’Atlantique en 17 jours. Pour le Pacifique il nous en faudra un petit peu plus.
Depuis le franchissement de l’Equateur, nous avançons bon train. On maintient les 5,3 noeuds de vitesse moyenne sur 24h malgré les molles que nous subissons la nuit. D’ailleurs la nuit passée fut très désagréable:c'était dû à un manque de vent et à un changement de courant, le bateau se dandinait dans tous les sens et les voiles claquaient de gauche à droite. Une vraie machine à laver!
Heureusement depuis 9:00 ce matin le vent de l’alizé du S-E a repris de plus belle et nous garde les voiles gonflées! Et le courant océanique est lui aussi censé s’intensifier en direction de l’ouest. On devrait donc bientôt se retrouver sur un vrai tapis roulant.
On note aussi depuis 2 jours que la température dans Morgane a baissé. Ou bien sommes nous habitués à pareille chaleur? Je ne pense pas pour Robin. Qui d’ailleurs me confirme que la température de l’océan a diminué de 2 degrés, elle affiche aujourd’hui 27 degrés ! A ne pas prendre à la légère car cela fait une sacrée différence ressentie à l’intérieur du bateau. L’air est aussi plus sec. Et la nuit on cherche un drap pour se couvrir le corps! Bref ça devient enfin agréable!
Mon oreille est maintenant stable. Elle se rétablit gentiment. J’espère être d’attaque pour les derniers jours à l’approche des îles. Pour le moment aucun trafic n’est signalé autant à la vue que sur notre AIS. A croire qu’il n’y a pas un chat dans les parages!
Néanmoins, nous sommes en contact avec trois autres voiliers qui sont actuellement à 400mn (720km) derrière nous et sont en train de passer un sale moment dans la ZIC. On les encourage par messages en leur apportant notre soutien moral dans cette étape qui ne nous a pas épargné. Cependant on réalise qu’on s’en est quand même bien sorti!
Il est temps que je me remette à cuisiner. Au menu de ce jour : curry de patates douces et lentilles.
A QUAND LA BASCULE?
28 Avril 2022
Finalement hier je n'ai pas pu cuisiner mon curry car le vent a vite augmenté soulevant une vague courte et hachée se déversant sur Morgane! Même le baromètre s’est affolé et nous alarmait d’un “Attention Vent Fort”! À peine que j’appuyais sur le bouton OK, que Robin dû se dépêcher de sortir pour réduire les voiles. A partir de ce moment, nous nous sommes calés au fond du bateau pour subir le moins possible les soubresauts, les dérapages et autres figures de style que Morgane arpentait dans ce tumultueux Pacifique.
Admirable notre Zorro! Notre régulateur d’allure ou pilote à vent qui tient la barre depuis des semaines, qui gère magnifiquement bien chaque situation, qui s’en fout de se prendre une grosse rincée salée en pleine figure! On espère qu’il tienne le coup jusqu’aux Marquises.
Heureusement Robin a l’estomac plus accroché que le mien, il s’est mis aux fourneaux et nous a préparé des délicieuses quesadillas !
Et puis on a continué à serrer les fesses et prendre notre mal en patience et priant pour que ça se calme. Mais rien à faire. Cela a continué toute la nuit.
Vers 3h du matin, on a entendu un grand « BAM » à l’arrière du bateau. Robin sauta hors de sa banette en s’exclamant: « Merde on a pété une ligne du pilote! »
D’un coup de lampe torche il examina le cockpit et entrevu rien d’anormal puis un claquement effréné se fit entendre dans l’équipet tribord. C’était un malheureux gros poisson volant qui avait fini sa course dans notre cockpit.
Bref on a pas beaucoup dormi! On se serait cru dans un bus à Madagascar.
Pourtant, tous les fichiers météo nous indiquent une bascule de vent de 20 degrés.
« Elle se cache où cette bascule de vent?? »
« Car non, là ça continue à souffler à 25 noeuds de travers! »
Alors pour rendre un chouïa plus confortable notre enfer, nous avons dû abattre notre course pour nous positionner légèrement cul à la vague et au vent. Ce qui nous écarte de notre route de 10 degrés.
Si aucune amélioration ne se présente pendant les 5 prochains jours, nous loupons les Marquises et finissons aux Kiribati! C’est peut être pas si mal ??
Non j’exagère! On fera tout pour rejoindre les Marquises même si il faut finir à la rame!
Bref on espère que cet océan Pacifique va changer d’humeur et nous apporter un peu de joie et de satisfaction pour les derniers 600 miles à parcourir!
LE FAMEUX TAPIS ROULANT
30 Avril 2022
Et voilà qu’elle est arrivée dans l’après-midi, cette bascule de vent d’Est. Légère mais de toute façon on prend ce qu’on nous donne!!
Même la dameuse a décidé de ratisser l’océan à peu près au même moment.
A n’en pas croire nos yeux, on s’est retrouvé à filer à toute allure sur un tapis roulant plus ou moins plat ! A la nuit tombée on a dû réduire la voilure tellement qu’on allait trop vite.
3 ris dans la grand voile et un petit string de génois nous portaient à la vitesse de 7 noeuds. Ça glissait tellement bien. On a dormi comme des loirs!
Et puis, ça a continué toute cette journée.
On a battu notre record de distance avec 153 mn en 24h!
Si on continue comme ça on va arriver plus vite que prévu à Nuku Hiva. Ce qui serait une aubaine car notre stock de bouquins est bientôt épuisé!
A part ça, on a eu la visite de dauphins à deux reprises. On a aperçu une tortue et même une raie manta à la surface. Et puis il y a cette petite hirondelle qui dance sur l’eau aux côtés de Morgane. Si légère on dirait une feuille qui vole et si précise dans ses gestes qu’on croirait qu’elle marche sur l’eau.
Mais toujours pas de bateaux en vue.
Le ciel est constamment parsemé de petits nuages qui se transforment de temps en temps en gros cumulonimbus qui nous envoient de la pluie. Encore faut-il arriver au bon moment dessous pour profiter de cette bienfaisance. Car de ce côté-là, on est pas très chanceux. Par contre on a la chance d’assister chaque soir à des couchers de soleil exceptionnels. Le ciel s’illumine d’un orange velouté puis vire dans les tons rougeâtres quand finalement par un effet loupe, il grossit sur l’horizon pour ensuite s’y enfoncer.
Allez, plus que trois nuits … on y croit!
JOYEUX ANNIVERSAIRE
1er Mai 2022
Un magnifique lever de soleil nous accueille en ce jour du 1er mai à 200MN (360 Km) des îles des Marquises.
C’est un jour particulier pour nous car il marque la date à laquelle nous avons commencé cette fabuleuse aventure sur les mers et les océans.
Il y a exactement 5 ans, nous larguions les amarres de Zeebruges en Belgique sous un ciel plutôt morose. Partagé de sentiment de tristesse et d’excitation, nous nous étions retrouvés en mer du Nord avec un beau programme de navigation pour notre nouvelle vie.
Cette nouvelle vie de marins ou plutôt celle de nomades des mers, nous a permis depuis de découvrir des lieux invraisemblables, de partager des expériences inoubliables et de rencontrer des gens devenus des amis très chers.
Bref un projet de tour du monde qui devait durer 5 ans…
On s’est vite rendu compte que le temps nous était compté. Pour boucler ce tour du monde par le passage que nous avions dessiné sur la carte, il fallait se grouiller. Vite s’arrêter là pour ensuite vite visiter un endroit et vite se remettre en route pour ne pas louper la bonne saison de navigation et enfin être prêt à cette date fatidique pour passer à travers la glace. Bref courir après le temps pour finalement se retrouver coincés par dame nature et devoir faire demi tour.
A ce moment là, il y a eu comme un déclic dans nos esprits. Peut être alimenté par cette envie de relâcher la pédale de l’accélérateur, de simplement vivre à un rythme normal en fonction de la nature et de nos envies. Nous avions depuis une année et demie quitté le système, quitté le mode dodo-métro-boulot, nous commencions à peine à profiter du voyage. A goûter à ce sentiment de « Liberté ».
Alors, on s’est dit pourquoi se mettre une date limite? Ce voyage qui en soit est devenu notre vie à plein temps peut prendre tout son temps et s’arrêter quand on le voudra.
Et puis il serait difficile de s’arrêter quand enfin on atteint un endroit dont on a rêvé pendant si longtemps.
La Polynésie n’est plus très loin. Mais elle sait se faire attendre et se laisse désirer!
Le vent depuis minuit a bien diminué et nous a fortement ralenti. Toute la nuit, les voiles en ciseaux nous ont claqué dans les oreilles. Notre heure d’arrivée à Nuku Hiva ne fait que de se prolonger ce qui met notre impatience à rude épreuve.
Heureusement depuis ce matin le vent souffle un peu plus fort et notre vitesse de croisière se rapproche à nouveau des 4-5 noeuds. Et puis on ne peut vraiment pas se plaindre car l’océan est aujourd’hui bien rangé et le vent nous pousse par derrière. Ce qui nous permet de bien nous reposer, de cuisiner et manger à table et même de tenter une partie de Ping pong!
MOTEUR OU PAS MOTEUR ?
On a résisté toute la journée pour ne pas allumer notre moteur. On maintenait tout juste la cadence à 3,8 noeuds avec nos voiles en ciseaux qui claquaient la plupart du temps. Ça faisait mal pour le bateau et mal pour les voiles. Et puis il y a une succession de grains qui nous donnait un peu plus de vent à chacun de leur passage. On a pu prendre une bonne douche sur le pont. Et puis de nouveau presque plus rien de vent.
On prenait notre mal en patience.
Vers 14h pour célébrer notre 5ème anniversaire sur Morgane, nous avons sorti le camembert, le chorizo, les cornichons, les olives et le fameux pâté de porc fait par Éric Maffre un ami navigateur rencontré dans le passage du Nord Ouest. Avant de quitter Seattle, il nous en avait remis deux boîtes. On s’est régalés!
Pour la boisson, on s’est contenté d’un verre d’eau. On trinquera avec une bonne bière bien fraîche quand on sera arrivé à destination! Pour l’instant, on veut garder toute notre lucidité et notre énergie à l’approche des terres où il devrait y avoir un peu plus de trafic. Il faut rester vigilant.
On a fait des paris:
A quelle distance nous allions voir apparaître la terre?
Robin dit 70mn, moi je pense plutôt 50mn. Même si le point culminant de l’île est à 1224m, l’horizon lui, reste souvent bouché par de gros nuages. A vrai dire, je ne sais même pas si on va voir quelque chose apparaître au loin! Ça risque de nous sauter aux yeux aux pieds de notre étrave quand on aura passé le rideau gris.
En fin de journée, on a crié victoire!! Le bateau a enfin décollé avec une vitesse de pointe à 5,4 noeuds nous étions à nouveau dans la course! Cependant tous ces retards depuis 24h nous repoussent maintenant notre arrivée à mardi matin.
On a admiré notre 21ème coucher de soleil en pleine mer en compagnie de nouveaux oiseaux. On dirait une sorte de Sterne mais avec des queues d’hirondelles. Bref on sent bien que la terre n’est plus très loin. Il y avait aussi plein de petites bonites qui sautaient de partout. Robin a de suite sorti la canne à pêche mais sans résultat. Et puis les dauphins ont pris le relais. De vraies petites torpilles à chasser ces poissons.
Après tout ce joli spectacle nous avons allumé notre Peugeot non pour avancer plus vite mais pour recharger nos batteries qui, par manque de soleil et de vent ces derniers jours, se sont déchargées à un seuil critique.
Voilà pour ce 1er mai qui se termine en beauté. On espère que le vent ne faiblira pas et qu’on poura continuer notre allure au grand largue toute la nuit!
LE SPRINT FINAL
2 Mai 2022
Toute la nuit Morgane a galopé comme si elle savait qu’il fallait qu’elle rattrape ses miles perdus dans le petit temps de la veille. Elle nous a même fait un surf à 9,5 noeuds!! De quoi nous affoler un peu et de nous convaincre qu’il fallait quand même réduire un peu la grand voile! Ça serait dommage de tout casser si proche de notre but.
L’alizé du sud-est s’est encore un peu renforcé ce matin, il souffle maintenant à 15 noeuds. On navigue toujours grand largue avec un ris dans la grand voile et notre cap vise pile poil le Sud-Est de Nuku Hiva, on fonce! C’est le sprint final!!
Au même moment je suis captivée par ma lecture de Titouan Lamazou “Demain je serai tous morts” qui est en train de mener en tête le premier Vendée Globe Challenge en 1989.
L’émotion commence à monter…
Le ciel est gris blanc. Pas mal de nuages l’encombrent. Ce qui nous fait un peu d’ombre et nous apporte une très légère, mais vraiment légère sensation de frais.
A 60mn des terres il est encore impossible de voir quoi que soit à part des nuages et de l’eau. Robin a dès lors perdu son pari.
J’ai encore 2 heures devant moi pour gagner le mien…
TERRE EN VUE!
C’est à 40mn qu’elle apparaît à travers les nuages. On pensait voir un rideau de pluie mais finalement ce sont bien les contours d’une île qui se dessinent à l’horizon. C’est Ua Huka située à 20mn au sud-est de Nuku Hiva. D’une certaine manière j’ai donc gagné le pari car je me situe plus proche du chiffre parié!
Mais à la finale on a gagné tous les trois… On a gagné la victoire d’avoir traversé l’océan Pacifique sans avarie ni problème majeur. Juste la girouette qui a été saccagée par les oiseaux.
Aujourd’hui, le 2 mai 2022, on réalise un autre rêve ou plutôt un exploit! On vient de parcourir 2’850 milles nautiques soit 5’280 km en 22,5 jours à la voile!
Franchement on s’en sort plutôt bien.
Il est 20:45, encore une petite heure au grand largue avant d’empanner le Génois et tirer notre dernier bord au ciseau pour rejoindre la baie de Taiohae. Il fait nuit noire mais le ciel est clair et la voie lactée brille de mille feux. Le petit pêcheur s’est installé au bout de son croissant de lune.
A l’approche de la baie, nos narines sont à l’affût. On respire une odeur… l’odeur de la terre. Ici elle sent l’humus, la forêt tropicale, les copeaux humides.
Après avoir dépassé les deux grandes ombres qui marquent l’entrée de l’anse, des petites lumières apparaissent dans le fond. Pas beaucoup, juste ce qu’il faut pour nous orienter. Et pendant ce temps là, on se prend pour deux pirates en quête d’une nouvelle terre!
A 23:30 Morgane se faufile entre les bateaux pour trouver sa place où elle va enfin pouvoir se reposer.
A minuit l’ancre est mouillée dans 15 m de fond. On se pose dans le cockpit et décapsulons deux bières. Elles ont du goût ! Et je pense qu’elles vont faire effet assez vite pour trouver le sommeil.
Au réveil cela va être une grande surprise de découvrir ce qui nous entoure! Et je pense qu’à ce moment là on réalisera vraiment ce qui s’est passé!
FIN
10 Avril 2022
Il est 08:00 c’est parti mon kiki!
Ça y est on a largué les amarres du ponton 9 juste après que le soleil soit au dessus de l’horizon.
Les tasses à café encore pleines, la vaisselle dans l’évier, les hublots ouverts… bref on a quitté la marina de la Cruz comme s'il y avait le feu au lac! Richard, notre voisin de ponton a tout juste eu le temps de nous dire au revoir!!
Notre excitation… notre impatience de reprendre la mer … le large, a surgi de nos tripes ce matin.
Fuir la surconsommation! De toute façon, nos cartes bancaires ont déclaré forfait avant nous!
A 10:30 une légère houle 1/3 de face se fait sentir en même temps qu’un léger mal de mer. Je lâche toute lecture et me concentre à regarder l’horizon. Les conditions sont trop belles pour finir à fond de cale et dormir!
A 12h avant la sortie de la baie de Banderas, on touche enfin du vent. On hisse la grande voile et déroule le génois. On avance à 5,7 knots avec l’appui du moteur.
Vers 14h on peut finalement éteindre le moteur et continuer notre route sous voiles uniquement et pilote à vent ! Morgane se cale sur son premier bouchin, on est gîté à 10 degrés. Quel bonheur ! Plus un bruit de sourdine, de la pure glisse et même la houle semble avoir disparu! J’arrive à descendre dans le carré pour nous préparer une petite salade de tomates et mozzarella.
Le lâcher prise est en train de se mettre en place gentiment!
Ces derniers jours à terre étaient assez intenses. Avec notre procédure de départ du Mexique qui nous a pris quand même deux jours et deux aller-retour à Puerto Vallarta. La surprise de nos soldes insuffisants de nos cartes de crédit pour payer nos dernières courses et petits imprévus. Les derniers préparatifs de Morgane. La visite éclair à San Pancho due à un embouteillage de plus de deux heures…
En fait c’est drôle nous avons ce même sentiment ou plutôt cette même façon de faire quand on habitait en Suisse et qu’après plusieurs mois de boulot, il était temps de partir en vacances. L’avion décolle dans 24h… tu as fait tes bagages il y a deux semaines mais le jour avant de partir, tu te dépêches de vite encore dire au revoir à un ami ou visiter un endroit et tu cours vite acheter encore un truc à la Migros, et tu télécharges vite les derniers Paju et podcast du moment qui prennent bien sûr des plombes car la connection wifi est pourrie…
Bref je vous assure que même sur l’eau en voyageant autour du monde depuis 5 ans, on vit avant chaque grande traversée ce qu’on appelle: le stress du départ!
Mais nous voilà partis et pas questions de faire marche arrière si on a oublié un truc!
JOUR 2
11 Avril 2022
Depuis 24h notre vitesse moyenne est de 5,5kt avec un vent plus ou moins constant de secteur Nord qui souffle entre 10 et 15 noeuds et nous maintenons un cap au 240 degrés droit sur les Marquises! Morgane glisse comme sur un tapis roulant!
Le Pacifique, pour l’instant, porte bien son nom. Ses vagues sont bien rangées, sa houle est presque inexistante et sa couleur bleu roi délimite l’horizon à perte de vue. On espère que ces conditions de rêve perdurent pour les 20 prochains jours.
Les dauphins nous rejoignent de temps en temps, on les entend parler à travers la coque. Ils sont tous petits.
Ce matin trois Fous bruns s’intéressent au mât de Morgane. Ils tournoient au dessus du bateau. A se demander s'ils souhaitent se poser sur les barres de flèche et faire un bout de chemin avec nous?
Robin a veillé toute la nuit. Il m’a dit au réveil que nous avons croisé la route de 4 cargos. Ils transitaient du nord au sud.
Hier soir mon infection à l’oreille est revenue! Ça m’a mis KO. J’ai concocté une petite potion d’huiles essentielles (camomille lavande et eucalyptus avec de l’huile d’amande douce) dont j’ai imbibé un petit coton et que j'ai planté dans mon oreille pour le reste de la nuit. Ce matin ça allait déjà mieux.
Avec ces belles conditions de vent, on hésite à faire escale à l’île Socorro qui s’éloigne de plus en plus de notre route.
A la suite d’un magnifique soleil couchant, deux Fous bruns plutôt dans l’âge juvénile ont décidé de se poster au sommet du mât de Morgane! Ils s’agrippent à la barre de la girouette tant bien que mal et battent de leur ailes à chaque tangage plus ou moins fort du bateau.
Robin s’égosille, ébranle les haubans, la drisse du Spi, tape sur le mât. Bref après 5min, un fou s’envole, celui qui était placé le plus à l’extrémité. L’autre reste. Il a décidé de passé sa nuit à bord de Morgane! On étudie une autre stratégie pour le faire déguerpir… monter au mât pourrait marcher mais aucun d’entre nous n’a envie d’y rester toute la nuit! En plus la montée serait très acrobatique et même dangereuse car ça bouge quand même pas mal en ce moment!
Alors on hisse un sac à commission avec la drisse du spi. Mais rien à faire! Il n’a même pas peur !
Dommage que nous n’avons pas acheté ce pistolet à eau au marché aux puces de Buceria ! Il nous aurait sûrement aidé ce soir!
Robin a surnommé l’oiseau “caba”! (Petit nom du sac à commission)
UN CLANDESTIN A BORD
12 Avril 2022
On a un chouïa ralenti, on avance à 5,4 kt de moyenne depuis 24h et on a dû un petit peu “lofer” pour garder de la pression dans nos voiles. Donc notre route est légèrement trop Nord en ce moment. Mais si les prédictions de vent sont justes, on devrait reprendre un cap direct sur les Marquises ce soir ou demain et toucher un peu plus de vent.
Le ciel est bien couvert cette après-midi. Cela donne une couleur bleu argenté à l’océan.
“Caba” est descendu d’un étage! Il est depuis ce matin posté sur les barres de flèche. Il nargue ses potes qui essaient de se poser à tour de rôle mais sans succès.
C’est sympa d’avoir de la vie autour de nous quand on est si loin de la côte et du monde mais ça l’ai un peu moins quand on vous chie dessus!
L’ambiance est bonne à l’intérieur de Morgane. On dort beaucoup, Robin écoute des podcasts, moi un livre audio: “l’affaire Alaska Sanders” qui est juste génial!
On mange des avocats et on boit du Kombucha!
On s’est dit qu’on n'allait pas boire d’alcool pendant la traversée. Faire une pause, ça fait du bien après nos deux dernières semaines très festives à la marina de la Cruz!
La pêche aussi sera pour plus tard, quand la cambuse sera vide! Pour l’instant le frigo déborde de nourriture et notre appétit n’est pas encore à crier famine. C’est même difficile de savoir ce qu’on veut manger! Je me réjouis d’être en forme pour avoir envie de cuisiner des bons petits plats.
Pour l’heure, il est temps d’aller nettoyer le pont mitraillé de guenons!
LE CIEL SE COUVRE
13 Avril 2022
Les fous bruns nous ont quitté et les nuages nous ont couvert le ciel d’une couche de nuages gris. Le problème, ce sont les batteries qui se chargent principalement grâce à nos panneaux solaires et qui dit nuage dit moins de soleil et donc moins d’énergie. Le réfrigérateur est la source consommant le plus mais avec ce qu’il y a à l intérieur, pas question de l’arrêter. Il nous faudra peut-être faire tourner le moteur pour recharger le tout bientôt. Espérons que les nuages se dissipent. Quant à nous, le moral est bon et nous essayons déjà d’anticiper la zone de convergence intertropicale appelée plus communément “le pot au noir”.
Il s’agit d’une ceinture de quelques kilomètres du nord au sud proche de l’équateur où les vents sont très faibles et où de gros orages peuvent éclater. Pourvu qu’on puisse passer sans trop de moteur et sans trop de grains violents. Nous y serons sans doute autour du 19 avril…
LE VENT A DISPARU?
14 Avril 2022
La nuit dernière fut vraiment très désagréable. Vers 2h30 du matin, le vent commença drastiquement à diminuer. Les voiles claquèrent à chaque pétole de vent ou vague harassante.
Pour espérer avancer encore un peu avec notre pilote à vent nous dûmes prendre la direction de Hawaï afin de garder au maximum nos voiles gonflées. Cependant les vagues venant de tous les sens rendirent la navigation effroyable. Les voiles n’arrêtèrent pas de claquer à chaque molle de vent. Morgane se dandinant de gauche à droite puis de haut en bas, il fut impossible de fermer l’œil dans des conditions pareilles!
Puis soudain plus de vent! Rien de rien. Juste un océan complètement désordonné éclairé par la lune.
Je disait le premier jour que nous naviguions sur un tapis roulant? Il a pourtant bien existé. Enfin, juste le premier jour, le temps de nous donner bonne impression! De nous mettre en confiance.
Vers 3h du matin, nous décidâmes donc d’affaler nos voiles face au vent en évitant de passer par dessus bord et de mettre en marche le moteur avec notre pilote électrique. Après cette opération délicate à sec de toile, nous reprîmes notre cap sur les Marquises et finalement nous pûmes fermer l’œil quelques heures dans notre capharnaüm.
Peu avant le lever du soleil, il faisait une chaleur étouffante dans l’habitacle. Robin eut peur que le moteur surchauffe. Le vent était revenu timidement. Il décida de remettre les voiles mais cette fois en ciseaux pour faire du plein cul!
En un instant, un bonheur grandiose fut ressenti autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du bateau! Nous glissâmes à nouveau sur une sorte de tapis roulant … faites que ça dure!
CONDITIONS INSTABLES
15 Avril 2022
Le tapis roulant est un peu désorganisé! C’est le gros bordel en fait ici! Et le vent est très faible. Les voiles claquent! Et puis d’un coup ça glisse bien… le vent forcît, le plan d’eau devient super agréable pour quelques minutes, quelques heures. Et puis c’est de nouveau le champ de bataille. Bref on prend notre mal en patience. On lit, on dort (je ne sais pas comment d’ailleurs), on doit être tellement fatigué que même avec ce brouhaha on arrive à s’endormir!
Robin joue du Ukulele! Il commence à sortir des bons petits sons.
J’ai fait un curry de lentilles, patates douces et aubergines pour ce soir et demain… c’est pas encore très évident de cuisiner car le bateau bouge dans tous les sens. Je danse d’un pied à l’autre avec mise en mouvement du bassin en avant en arrière pour ne pas perdre l’équilibre tout en coupant des légumes en petits carrés. Avec le ventilateur dans la figure j’arrive à ne pas être malade! Et Robin me confirme que le curry est bon!
Le temps est blanc il n'y a pas beaucoup de ciel bleu en ce moment. Les Fous nous rendent visite de temps à autre et il y en a toujours un qui essaie de se poser au sommet du mât de Morgane.
On craint ce pot au noir. Aujourd’hui on a repris une météo avec routage et ça ne s’annonce pas très bon. Il nous fait passer dans une zone de 6 jours sans vent ! On espère vraiment que ça va bouger en notre faveur d’ici la semaine prochaine.
A LA DOUCHE
15 Avril 2022
On avance toujours, pas très vite mais on maintient tout de même la cadence de 4,7kt de moyenne. Merci au courant océanique de nous pousser dans la bonne direction. Depuis cette nuit on a décidé de faire un cap plus ouest afin d’éviter une grosse zone de grains et très instable qui se situe à notre sud. De la pluie on va s’en prendre dès demain probablement et pendant tout le week-end avec un peu de vent on espère! Ça va être chaud et humide dans Morgane, un vrai bonheur!
Ce week-end de Pâques c’est pas la chasse aux œufs mais la chasse au vent constant pour Morgane et son équipage!
Du coup on se disait qu’on allait se doucher demain sur le pont sous la pluie et le vent. Mais finalement on craque pour aujourd’hui, on préfère se doucher à l’eau chaude dans le cockpit de Morgane sous un joli rayon de soleil. Ça fait du bien une petite douche après 6 jours de navigation. C’est comme si on enfilait une nouvelle peau! Ça redonne des forces et redynamise l’esprit!
On profite de bien se reposer encore aujourd’hui pour être d’attaque ces prochaines heures.
LA MACHINE À LAVER
16 Avril 2022
Cette nuit nous avons touché notre premier grain de pluie suivi d’un vent plus soutenu. On a donc réduit les voiles. En commençant par prendre un ris dans la grand voile. Notre vitesse ne diminuant pas. On a repris un deuxième ris. Puis enrouler notre génois à la moitié. Enfin la cadence a repris une allure à 5 kts et notre fidèle pilote à vent Zorro reprenait le contrôle!
Depuis que nous avançons avec les voiles en ciseau le vent dans le dos, ça roule dans Morgane. De gauche à droite non stop. Impossible de dormir. Même en cherchant une position confortable, c’est à dire se caler de part et d’autre des banquettes ou sous la table. Immobiliser son corps comme dans un siège baquet. Cependant il y a toujours une partie du corps qui bouge, qui se crispe à chaque mouvement. La séance de guénâge ici est gratuite! Les torticolis seront la conséquence…
Bref cet océan nous fait endurer une vraie machine à laver!
Manger dans une assiette avec une fourchette et un couteau devient scabreux. A table nous sommes deux clowns en train de jongler ! On choisit donc des aliments plutôt secs en ce moment. La soupe est reportée à plus tard.
Prendre la météo est devenu notre passe-temps favori! Car cela dure entre 15 et 30 minutes pour télécharger un fichier météo que nous appelons Gribs qui représente une micro zone de 500 miles nautiques sur 4 jours. On a le temps de lire un chapitre et faire une micro sieste entre deux! Heureusement nous avons souscrit un abonnement avec téléchargement de données illimitées au téléphone satellite.
Sinon la facture serait impayable!
Les fichiers sont actualisés 4 fois par jours. Donc 4 fois par jour nous téléchargeons une nouvelle météo avec un nouveau scénario : par où passer pour avancer au mieux?
Car cette zone de pot au noir n’arrête pas d’évoluer. Passer à travers relève d’une question de chance, de loterie!
Donc pour l’instant gardons le cap et croisons les doigts.
JOYEUSES PÂQUES
17 Avril 2022
On aurait pas rêvé mieux! A bord de Morgane c’est séance Tagada avec giclée d’embruns par dessus le cockpit sous un grand soleil et 15 noeuds de vent.
Dans le carré, au menu saucisse à rôtir avec la sauce au poivre vert de la Migros, enrobé d’une moiteur de 81% et chaleur à 30 degrés. Les ventilateurs sont malheureusement en mode charge. On va crever avant de toucher le pot au noir!
On se passe à tour de rôle l’éventail que j’avais ramené du Vietnam…
Ce matin, on arrête de faire de l’Ouest. On a décidé d’aller affronter la ZIC (zone intertropicale de convergence) cap au 210 degrés. Avec un peu de moteur, ça devrait passer!
LE SPECTACLE
18 Avril 2022
Il y a des événements qui te font vite oublier les dures épreuves par lesquelles tu dois passer pour vivre un moment de pure bonheur. Un moment intime avec la nature.
Traverser un océan c’est couper contact avec la terre (ou presque) enfin c’est ne plus voir de terre donc d’humain ou plutôt de vie terrestre pendant plusieurs jours voir plusieurs semaines.
C’est donc chercher le contact à l’intérieur de soi. C’est méditer sur beaucoup de choses. C’est se retrouver entouré d’eau, de vague et de vent. C’est remarquer différentes teintes de bleus, croiser la route des poissons volants et des mammifères marins et surtout c’est admirer le vol incessant de ces oiseaux marins migrateurs.
Ce soir un Fou nous a fait un spectacle de la chasse au poisson volant. Juste à côté de Morgane pendant plusieurs minutes. Il prenait son élan en contournant le haut du mât et plongeait en piqué sur sa proie… pas besoin de battre ses ailes, sa ressource lui suffisait pour raser les vagues à pleine vitesse et attraper son butin sans même se mouiller. Juste fabuleux!
Cela fait 7 jours que nous sommes en mer, bien amarinés aujourd’hui même si les conditions de navigation sont encore difficiles et ce passage du pot au noir qui nous prend la tête, nous restons positifs et nous sommes heureux d’être là.
Finalement, on ne peut pas se plaindre, nous avons un fidèle pilote à vent qui tient la barre depuis 7 jours. Un frigo rempli de bonnes chose à manger, de l’eau, des bons bouquins, pas de circulation en vue, de la chaleur (un peu trop) mais surtout une belle carotte au bout de l’étrave : LA POLYNÉSIE!
Allez il est temps de s’assoir sur le pont et d’admirer le coucher de soleil!
1/3 DU PARCOURS
19 Avril 2022
Un sentiment partagé pour ce 8ème jour de mer entre satisfaction et anticipation.
La satisfaction d’avoir déjà parcouru plus de 1/3 de la route totale et que nous tenons les 5 noeuds de vitesse moyenne dans ces vents plutôt faibles et cette peur anticipative de faire de longues heures de moteur voire des jours pour passer ce pot au noir…
Les prévisions changent chaque jour et sans doute ce soir ou cette nuit les vents cesseront de nous pousser pour au minimum 24h… Croisons les doigts pour que ça ne soit pas plus.
Morgane semble se plaire dans cette océan à 28 degrés et se dandine gentiment comme un pingouin sur la banquise (le besoin de fraîcheur se fait entendre!)
Aucune casse ou problème technique n'ont été remarqués jusqu’à ce jour.
On règle les voiles, génois avec tangon, sans, en ciseaux, on prend un ris (réduction de la grand-voile de 1/3), deux ris, puis on remet tout.
Bref on navigue du mieux qu’on peut.
LE POT AU NOIR
19 Avril 2022
Nous y voilà au cœur de ces mastodontes que nous appelons plus communément Cumulonimbus.
Ils nous encerclent, des cheminées s’élèvent dans le ciel rempli d’étoiles.
On continue à naviguer, on tient les 4,5 noeuds. Ils se rapprochent assez rapidement ou plutôt nous nous dirigeons droit sur eux. On a l’impression d’être comme dans un cirque. A la différence d’être normalement spectateur, nous voilà planté au milieu de la scène à brandir une pancarte marquée « prenez place chers amis, le spectacle va commencer »! Le ciel s’assombrit, des éclairs nous dévoilent la grandeur du nuage. WoW il est immense! La ligne de l’horizon disparaît, l’océan s’aplatît et le vent s’arrête subitement.
On a juste le temps d’enrouler le génois que commence la rincée! Des trombes (de seaux) d’eau se déversent sur Morgane.
Ce qui nous enchante car elle avait bien besoin d’un dessalage!
Robin a enfilé son ciré jaune et il est perché sous les panneaux solaires pour veiller à une éventuelle manœuvre.
Mais tout va bien, 5 minutes après que la pluie soit passée, Robin redéroule le génois et nous continuons notre route sous voiles portés par le vent jusqu’à la prochaine rencontre 1h30 plus tard. Même scénario. Cependant après le passage du nuage, cette fois le vent tourne de 180 degrés, il souffle à 10 noeuds maintenant droit dans notre figure. Il est temps d’allumer le moteur pour nous échapper de cette zone !
La zone intertropicale était un grave sujet de préoccupation pour les marins jusqu’à la fin du XIX siècle. Sous ces latitudes, les navires à voile (surtout les plus lents d’entre eux) pouvaient rester encalminés plusieurs jours, voire plusieurs semaines, dans un climat malsain, avec des alternances de pluies diluviennes, de grains d’orage, de risées folles et de calme plat. Aux tourments physiques s’ajoutait un effet démoralisant d’impuissance face aux éléments.
Bref on ne va pas tout gâcher maintenant. Vroom vroom c’était parti pour quelques heures de moteur …
24H DANS LE POT AU NOIR
20 Avril 2022
Loin de nous le timing : métro boulot dodo, Loin ! La difficulté de savoir quel jour on vit et depuis combien de jour nous sommes en navigation est bien réelle. Si notre journal de bord n’existait pas on ne se questionnerait même pas. Ce qui témoigne aussi notre fatigue accumulée ainsi que nos repas épars.
Le ronronnement de notre cher moteur Peugeot nous a bercé toute la nuit et on peut même dire que le sommeil était bon malgré la sourdine et la température quasi insoutenable qui régnait dans l’habitacle.
Car de peur qu’il surchauffe, nous avons laissé ouvert son compartiment et mis en place un petit ventilateur! On se serait cru dans la salle des machines du Corsica Ferry.
A l’aube du mardi 19 avril, on était cuits comme des poulets rôtis! Heureusement le vent s’est remis à souffler. Malheureusement pile dans notre direction. On marchait plus qu’à 2 noeuds avec le moteur à 2000 t/m à lutter contre les vagues et le vent.
Donc nous avons éteint le moteur et remis les voiles et avons tiré des bords au près serré comme on dit.
Cependant les grosses vagues désordonnées ne nous rendaient pas la chose facile. Impossible de tenir le fameux prés serré. L’angle du vent était tellement mauvais que sur la carte on pouvait voir notre trace décrire un Z mais encore plus serré.
Bref L’horreur! On avançait pas, on stagnait!
Puis au coucher du soleil un gros grain nous est passé dessus. Ça faisait du bien un peu de fraîcheur. Ensuite le vent est tombé. Alors on a rallumé le moteur pendant 2h, le temps de passer les gros nuages.
Enfin à 21h, cette bascule de vent tant attendue est enfin arrivée. Du vent venant du nord-ouest a commencé à souffler. On a donc éteint le moteur et déroulé le génois pour à nouveau naviguer mais cette fois-ci dans la bonne direction!
Cap au 230 moussaillon! Et que ça tienne toute la nuit!!
LE PILOTE CASSE!
21 Avril 2022
Depuis cette nuit, 3 heures du matin nous avons remis en marche notre bon vieux moteur Peugeot. Avec son compartiment ouvert et ventilé, et la chaleur extérieure du Pacifique, le mercure dans le thermomètre a atteint les 33 degrés. On sent bien que nous ne sommes plus très loin de la ligne de l’équateur. Je commence à m’habituer à cette chaleur étouffante. Par contre Robin a plus de mal. Il sue au moindre geste.
On ne respire plus sans son propre petit ventilateur suspendu à 10 centimètres de notre figure. C’est devenu notre meilleur ami! On dort avec, on cuisine avec, on va aux toilettes avec, bref il ne nous quitte plus. Même en mode charge on s’arrange pour trouver un câble assez long pour qu’il continue son job, nous maintenir en vie!Franchement si ces deux petits ventilateurs achetés à $ 2,5.- dans un magasin de seconde main à Seattle, tiennent le coup jusqu’aux Marquises je les bénis du ciel!
A midi, nous nous déplaçons au milieu de cette immense tache bleue sans vent sous un soleil de plomb, quand tout d’un coup le pilote électrique casse!!
Oui, là sous nos yeux ou plutôt à l’éraflure du talon de Robin, le pilote se pète en deux!!! Miséricorde !!
Imaginez tenir la barre pendant deux jours sous cette moiteur étouffante sans vent et dans les vagues venant de tous les côtés.
Sans aucun point de repère, si les yeux partent dans le vague ne serait-ce qu’une minute nous voilà dévié de notre route, direction l’Alaska ou le Panama… Bon heureusement il y a pas beaucoup de trafic par ici, aucun risque de collision mais une route en zigzag …
Non c’est impensable! Impossible de tenir cette barre les yeux rivés sur le compas pendant des heures!
Robin alias Mc Gyver, m’assure qu’il peut le réparer. Il descend dans le carré et se met à bricoler pendant que je m’efforce de tenir notre cap au 230 les yeux rivés sur le compas.
20 minutes plus tard tout en sueur le t-shirt trempé, il remonte dans le cockpit avec le pilote rassemblé, collé à la colle de contact et scotché au duck tape pour assurer une parfaite solidité!
Et ça fonctionne depuis 6h! Il fait remarquablement bien son boulot. Quand on voit la droiture de notre trace sur la carte, la réparation a fait ses preuves! Oh mais quelle chance d’avoir sous la main de la colle de contact et surtout un bricoleur qui aime réparer!
A 17h, une brise du nord-est se lève, juste assez forte pour nous permettre de dérouler de la toile. Mais toujours appuyé au moteur, nous continuons notre route en direction de la Sortie de ce fichu pot au noir.
A MI-CHEMIN
22 Avril 2022
Après 27 heures de moteur sur un océan plutôt plat, une petite brise de cul se fait enfin sentir. Serait- ce la fin du pot au noir? Non, mais on y est presque!
C’est 8:00 du matin ; il est temps d’arrêter notre moteur Peugeot et de hisser les voiles!!
L’océan est quasi plat. On saisit alors l’opportunité d’avancer sous grand SPI. C’est toujours un peu délicat de naviguer sous spinnaker avec Morgane. Car on est très vite sur-toilé. Du coup, on doit tenir la barre non stop car Morgane pourrait partir au tapis rapidement avec ces 120 mètres carrés de toile offert généreusement par Marc Colomb, un ami régatier de Morges.
Pendant que Robin tient la barre et les 6 noeuds de vitesse, je profite de la stabilité hors pair du bateau pour faire les grands nettoyages à l’intérieur de Morgane et cuisiner un déjeuner de rois.
Maintenant il faudrait plus qu’il pleuve sur Morgane pour couronner cette belle journée. En effet, depuis ce matin les grins nous passent tous à côté. C’est du vrai délire! Et moi je rêve d’une douche sous cette chaleur équatorienne.
Et puis voilà enfin mon souhait qui se réalise. A 15h, je peux prendre ma douche sur le pont de Morgane! On a même le droit à un deuxième rinçage! C’est fabuleux! L’océan s’est aplati d’un seul coup sous cette pluie torrentielle. Le spectacle est grandiose!
Le petit problème, c’est que le nuage nous a piqué le vent au passage! On n'avance plus qu’à 3 noeuds et encore…
Puis les grains se succèdent… si j’avais su j’en aurait pas demander autant!
A 16:30 on est obligé de rallumer le moteur pour appuyer notre cadence sous voile si on ne veut pas stagner dans cette zone incertaine. On vise plein sud cette fois-ci en espérant sortir de ce pot au noir le plus rapidement possible.
Nous sommes à mi-parcours! Nous avons déjà parcouru 1400 MN, l’équivalent d’environ 2500 kilomètres en 11 jours. Le plus dur est derrière nous. On ne peut que se réjouir de la suite!
PLEIN SUD
22 Avril 2022
Enfin du vent et du vent du Sud. Ce matin du 12ème jour de navigation, après avoir subi les vagues au moteur toute la nuit, nous sentons sur nos joues un souffle d’air légèrement différent.
Hop hop! On s’active à hisser la grande voile et dérouler le génois afin de voir le cap que l’on peut obtenir avec cette brise plein sud. Malheureusement la première tentative nous repousse trop à l’ouest et nous voulons éviter à tout prix cette zone de peur de retomber dans le piège du pot au noir.
Alors re-moteur pour quelques heures plein sud. Puis vers le milieu de la journée, l’angle du vent semble tourner de quelques degrés à l’Est. Tiens, tiens, ça semble bien ça!!
On remet les voiles et cette fois le cap est correct malgré une gîte de Morgane importante car nous marchons au prés serré (on remonte le vent au plus près). À l’intérieur du bateau c’est séance d’escalade pour passer d’une pièce à l’autre tellement le bateau est gîté. Faire la cuisine relève de l’exploit car seule la cuisinière montée sur cardan offre un endroit où on peut déposer quelque chose à plat sans l’attacher.
Quelques grains sont encore dans les parages et nous arrosent de temps en temps.
Les fichiers météo dans la ZIC sont peu fiables et de ce fait nous nous efforçons de nous en éloigner du mieux qu’on peut.
Il nous aura fallu 68h de moteur au total pour en venir à bout. Nos réserves de diesel sont à présent faibles. Donc faire de la voile devient nécessaire.
A LA CAP
23 Avril 2022
Après une nuit en enfer, la matinée n’est pas meilleure. Il est 9:30 et nous décidons de nous mettre à la cape. C’est à dire de stopper le bateau face au vent!
Et nous attendons que ça se calme pour continuer!
Il y a des moments comme ceux-ci où on préférerait être ailleurs. Sur terre, par exemple, assis sur un banc à contempler la tempête qui sévit.
Admirer les vagues qui grossissent avec la puissance du vent. Voir s’effondrer leur crêtes blanches sur le bateau. Imaginer l’ocean qui ruisselle dans l’habitacle. Écouter le bateau qui tape sur l’eau à chaque passage de lame et voir son mât trembler sous le choc. Entendre le sifflement aigu du vent dans le gréement.
Et se demander quand est-ce que cela va s’arrêter?
Depuis 15h (de temps) et proches de la sortie du pot au noir, nos fichiers météo sont erronés! Pourquoi? On ne sait pas.
Enfin Chamade, un autre voilier en route pour Les Marquises avec qui nous sommes en contact, nous annonce par e-mail qu’à 3 jours proches du pot au noir c’est « Madame Soleil » qui fait la météo…!
Théoriquement il devrait souffler un petit 12 noeuds aujourd’hui et bien non Madame Soleil nous envoie du 30 noeuds!
Bref on prend notre mal en patience. Ce qui est rassurant c’est que depuis que nous sommes à la cape, nous sommes premièrement en sécurité et deuxièmement nous continuons malgré tout à avancer sur notre route à une petite vitesse de 2 noeuds grâce au courant.
Le temps de manger quelque chose et de faire une sieste que Robin veut déjà repartir. A condition d’avancer tout doucement afin d’éviter de prendre de l’eau à l’intérieur de Morgane.
A 12h nous nous remettons donc en route avec 3 ris dans la grande voile et un string de génois à l’avant. Le Speedo note 4 noeuds alors qu’en réalité, nous avançons à 5 noeuds grâce au courant. Et à cette vitesse Morgane passe beaucoup mieux les vagues.
A 15:30 nous remettons le régulateur d’allure en place. A lui de barrer Morgane.
CIAO LE POTO
24 Avril 2022
Il a failli nous retenir! Mais on a serré les fesses et on s’en est échappé de justesse!
Ah ! Sacré Pot au noir! La prochaine fois, on passera par un autre chemin.
Depuis hier soir nous marchons toujours au près serré (on remonte le vent) avec 2 ris dans la grand voile et 3/4 de génois déroulé. Le vent est encore un peu trop Sud mais il est censé tourner en notre faveur Sud Est dès demain. On avance à une bonne vitesse de croisière de 5,4 noeuds de moyenne.
Grâce au fort courant, la mer s’est aplatie, enfin il y a quelques fois des vagues qui se fracassent contre la coque mais je dois dire qu’on saute de moins en moins! On est toujours autant admiratifs de voir comment Morgane passe bien ces vagues.
Ça fait quand même drôle de s’imaginer que seulement 4mm d’épaisseur d’acier nous séparent de 6000 mètres de fond!
Si on maintient cette vitesse nous devrions arriver dans 8 jours.
Côté vivres, il nous reste 80 litres d’eau en bouteille plus 200L d’eau dans les réservoirs. Le frigo est encore bien plein de légumes et de fromage et les placards pleins à craquer de conserves. En effet, la chaleur insupportable et la difficulté de cuisiner gîté, nous fait vite perdre l’appétit.
D’ailleurs je recommande la transpacifique à tous ceux ou celles qui veulent faire un régime! C’est sans état d’âmes et ça fond comme neige en été ! Y passent aussi les muscles … surtout ceux des jambes.
Mais je ne me fait pas trop de soucis car à peinel’ancre jetée dans la baie de Taiohae, après une nage sprintée pour échapper aux requins, nous galoperons au sommet de la montagne avec nos parapentes sur le dos quotidiennement!!
IMPOSSIBLE DE TOUT ANTICIPER
25 Avril 2022
Alors que Morgane a pris son rythme de croisière avec cette lame de travers qu’elle doit à tout moment couper de son étrave, nous, les occupants du bord, avons plus de mal à subir cette gîte et ces fracas de vagues sur la coque. Amanda depuis hier soir souffre d’une infection brutale et sourde à l’oreille gauche. Je décide donc de ralentir la cadence du bateau afin d’améliorer le confort à bord. Ça marche mais malgré cela sa souffrance est trop grande et nous décidons de démarrer un traitement antibiotique. Elle se repose depuis et cela semble se stabiliser.
Que peut-on faire au milieu d’un océan dans de pareilles circonstances?
On a beau se préparer techniquement et mentalement, à penser à presque tout, il y a toujours un imprévu. Et il faut faire avec.
L’océan Pacifique quant à lui est changeant. Il peut te caresser la coque avec son courant portant lissant la surface de l’eau et le jour suivant t’envoyer vagues sur vagues courtes impossible à franchir avec aisance…
Je le qualifierais de capricieux ou bipolaire quand il attaque fort.
J’aimerais tout de même finir sur un point positif qui est le fait que demain, oui demain 26 avril, nous allons franchir l’équateur. La latitude ZÉRO et donc passer dans l’hémisphère sud. Partie du globe que Morgane n’a jamais connue…
SANTÉ NEPTUNE!
26 Avril 2022
Au milieu de la nuit, à 3h40 du matin (heure locale), nous avons franchi la ligne de l’équateur. La lune formée d’un fin croissant orange s’était dépêchée de se lever pour assister au spectacle. De même que des milliers d’astres illuminant notre passage escorté par plein de petits poissons qui scintillaient et sautaient à la surface autour de Morgane dans un élan d’encouragement.
Nous nous devions de trinquer avec Neptune. Le remercier pour nous offrir cette vie sur l’eau dans le plus grand bonheur depuis 5 ans. Pour cela nous lui avons donné une bonne gorgée de Chartreuse que nous avions gardée à bord depuis le départ. Arrgh c’était bien fort!!
Cette ligne invisible nous redonne du courage et de la motivation pour les 6 ou 7 jours qui nous restent avant de fouler à nouveau la terre ferme…
Dès lors, avons-nous la tête en bas ou en haut?
17ÈME JOUR DE MER
27 Avril 2022
Il y a 4 ans, nous traversions l’Atlantique en 17 jours. Pour le Pacifique il nous en faudra un petit peu plus.
Depuis le franchissement de l’Equateur, nous avançons bon train. On maintient les 5,3 noeuds de vitesse moyenne sur 24h malgré les molles que nous subissons la nuit. D’ailleurs la nuit passée fut très désagréable:c'était dû à un manque de vent et à un changement de courant, le bateau se dandinait dans tous les sens et les voiles claquaient de gauche à droite. Une vraie machine à laver!
Heureusement depuis 9:00 ce matin le vent de l’alizé du S-E a repris de plus belle et nous garde les voiles gonflées! Et le courant océanique est lui aussi censé s’intensifier en direction de l’ouest. On devrait donc bientôt se retrouver sur un vrai tapis roulant.
On note aussi depuis 2 jours que la température dans Morgane a baissé. Ou bien sommes nous habitués à pareille chaleur? Je ne pense pas pour Robin. Qui d’ailleurs me confirme que la température de l’océan a diminué de 2 degrés, elle affiche aujourd’hui 27 degrés ! A ne pas prendre à la légère car cela fait une sacrée différence ressentie à l’intérieur du bateau. L’air est aussi plus sec. Et la nuit on cherche un drap pour se couvrir le corps! Bref ça devient enfin agréable!
Mon oreille est maintenant stable. Elle se rétablit gentiment. J’espère être d’attaque pour les derniers jours à l’approche des îles. Pour le moment aucun trafic n’est signalé autant à la vue que sur notre AIS. A croire qu’il n’y a pas un chat dans les parages!
Néanmoins, nous sommes en contact avec trois autres voiliers qui sont actuellement à 400mn (720km) derrière nous et sont en train de passer un sale moment dans la ZIC. On les encourage par messages en leur apportant notre soutien moral dans cette étape qui ne nous a pas épargné. Cependant on réalise qu’on s’en est quand même bien sorti!
Il est temps que je me remette à cuisiner. Au menu de ce jour : curry de patates douces et lentilles.
A QUAND LA BASCULE?
28 Avril 2022
Finalement hier je n'ai pas pu cuisiner mon curry car le vent a vite augmenté soulevant une vague courte et hachée se déversant sur Morgane! Même le baromètre s’est affolé et nous alarmait d’un “Attention Vent Fort”! À peine que j’appuyais sur le bouton OK, que Robin dû se dépêcher de sortir pour réduire les voiles. A partir de ce moment, nous nous sommes calés au fond du bateau pour subir le moins possible les soubresauts, les dérapages et autres figures de style que Morgane arpentait dans ce tumultueux Pacifique.
Admirable notre Zorro! Notre régulateur d’allure ou pilote à vent qui tient la barre depuis des semaines, qui gère magnifiquement bien chaque situation, qui s’en fout de se prendre une grosse rincée salée en pleine figure! On espère qu’il tienne le coup jusqu’aux Marquises.
Heureusement Robin a l’estomac plus accroché que le mien, il s’est mis aux fourneaux et nous a préparé des délicieuses quesadillas !
Et puis on a continué à serrer les fesses et prendre notre mal en patience et priant pour que ça se calme. Mais rien à faire. Cela a continué toute la nuit.
Vers 3h du matin, on a entendu un grand « BAM » à l’arrière du bateau. Robin sauta hors de sa banette en s’exclamant: « Merde on a pété une ligne du pilote! »
D’un coup de lampe torche il examina le cockpit et entrevu rien d’anormal puis un claquement effréné se fit entendre dans l’équipet tribord. C’était un malheureux gros poisson volant qui avait fini sa course dans notre cockpit.
Bref on a pas beaucoup dormi! On se serait cru dans un bus à Madagascar.
Pourtant, tous les fichiers météo nous indiquent une bascule de vent de 20 degrés.
« Elle se cache où cette bascule de vent?? »
« Car non, là ça continue à souffler à 25 noeuds de travers! »
Alors pour rendre un chouïa plus confortable notre enfer, nous avons dû abattre notre course pour nous positionner légèrement cul à la vague et au vent. Ce qui nous écarte de notre route de 10 degrés.
Si aucune amélioration ne se présente pendant les 5 prochains jours, nous loupons les Marquises et finissons aux Kiribati! C’est peut être pas si mal ??
Non j’exagère! On fera tout pour rejoindre les Marquises même si il faut finir à la rame!
Bref on espère que cet océan Pacifique va changer d’humeur et nous apporter un peu de joie et de satisfaction pour les derniers 600 miles à parcourir!
LE FAMEUX TAPIS ROULANT
30 Avril 2022
Et voilà qu’elle est arrivée dans l’après-midi, cette bascule de vent d’Est. Légère mais de toute façon on prend ce qu’on nous donne!!
Même la dameuse a décidé de ratisser l’océan à peu près au même moment.
A n’en pas croire nos yeux, on s’est retrouvé à filer à toute allure sur un tapis roulant plus ou moins plat ! A la nuit tombée on a dû réduire la voilure tellement qu’on allait trop vite.
3 ris dans la grand voile et un petit string de génois nous portaient à la vitesse de 7 noeuds. Ça glissait tellement bien. On a dormi comme des loirs!
Et puis, ça a continué toute cette journée.
On a battu notre record de distance avec 153 mn en 24h!
Si on continue comme ça on va arriver plus vite que prévu à Nuku Hiva. Ce qui serait une aubaine car notre stock de bouquins est bientôt épuisé!
A part ça, on a eu la visite de dauphins à deux reprises. On a aperçu une tortue et même une raie manta à la surface. Et puis il y a cette petite hirondelle qui dance sur l’eau aux côtés de Morgane. Si légère on dirait une feuille qui vole et si précise dans ses gestes qu’on croirait qu’elle marche sur l’eau.
Mais toujours pas de bateaux en vue.
Le ciel est constamment parsemé de petits nuages qui se transforment de temps en temps en gros cumulonimbus qui nous envoient de la pluie. Encore faut-il arriver au bon moment dessous pour profiter de cette bienfaisance. Car de ce côté-là, on est pas très chanceux. Par contre on a la chance d’assister chaque soir à des couchers de soleil exceptionnels. Le ciel s’illumine d’un orange velouté puis vire dans les tons rougeâtres quand finalement par un effet loupe, il grossit sur l’horizon pour ensuite s’y enfoncer.
Allez, plus que trois nuits … on y croit!
JOYEUX ANNIVERSAIRE
1er Mai 2022
Un magnifique lever de soleil nous accueille en ce jour du 1er mai à 200MN (360 Km) des îles des Marquises.
C’est un jour particulier pour nous car il marque la date à laquelle nous avons commencé cette fabuleuse aventure sur les mers et les océans.
Il y a exactement 5 ans, nous larguions les amarres de Zeebruges en Belgique sous un ciel plutôt morose. Partagé de sentiment de tristesse et d’excitation, nous nous étions retrouvés en mer du Nord avec un beau programme de navigation pour notre nouvelle vie.
Cette nouvelle vie de marins ou plutôt celle de nomades des mers, nous a permis depuis de découvrir des lieux invraisemblables, de partager des expériences inoubliables et de rencontrer des gens devenus des amis très chers.
Bref un projet de tour du monde qui devait durer 5 ans…
On s’est vite rendu compte que le temps nous était compté. Pour boucler ce tour du monde par le passage que nous avions dessiné sur la carte, il fallait se grouiller. Vite s’arrêter là pour ensuite vite visiter un endroit et vite se remettre en route pour ne pas louper la bonne saison de navigation et enfin être prêt à cette date fatidique pour passer à travers la glace. Bref courir après le temps pour finalement se retrouver coincés par dame nature et devoir faire demi tour.
A ce moment là, il y a eu comme un déclic dans nos esprits. Peut être alimenté par cette envie de relâcher la pédale de l’accélérateur, de simplement vivre à un rythme normal en fonction de la nature et de nos envies. Nous avions depuis une année et demie quitté le système, quitté le mode dodo-métro-boulot, nous commencions à peine à profiter du voyage. A goûter à ce sentiment de « Liberté ».
Alors, on s’est dit pourquoi se mettre une date limite? Ce voyage qui en soit est devenu notre vie à plein temps peut prendre tout son temps et s’arrêter quand on le voudra.
Et puis il serait difficile de s’arrêter quand enfin on atteint un endroit dont on a rêvé pendant si longtemps.
La Polynésie n’est plus très loin. Mais elle sait se faire attendre et se laisse désirer!
Le vent depuis minuit a bien diminué et nous a fortement ralenti. Toute la nuit, les voiles en ciseaux nous ont claqué dans les oreilles. Notre heure d’arrivée à Nuku Hiva ne fait que de se prolonger ce qui met notre impatience à rude épreuve.
Heureusement depuis ce matin le vent souffle un peu plus fort et notre vitesse de croisière se rapproche à nouveau des 4-5 noeuds. Et puis on ne peut vraiment pas se plaindre car l’océan est aujourd’hui bien rangé et le vent nous pousse par derrière. Ce qui nous permet de bien nous reposer, de cuisiner et manger à table et même de tenter une partie de Ping pong!
MOTEUR OU PAS MOTEUR ?
On a résisté toute la journée pour ne pas allumer notre moteur. On maintenait tout juste la cadence à 3,8 noeuds avec nos voiles en ciseaux qui claquaient la plupart du temps. Ça faisait mal pour le bateau et mal pour les voiles. Et puis il y a une succession de grains qui nous donnait un peu plus de vent à chacun de leur passage. On a pu prendre une bonne douche sur le pont. Et puis de nouveau presque plus rien de vent.
On prenait notre mal en patience.
Vers 14h pour célébrer notre 5ème anniversaire sur Morgane, nous avons sorti le camembert, le chorizo, les cornichons, les olives et le fameux pâté de porc fait par Éric Maffre un ami navigateur rencontré dans le passage du Nord Ouest. Avant de quitter Seattle, il nous en avait remis deux boîtes. On s’est régalés!
Pour la boisson, on s’est contenté d’un verre d’eau. On trinquera avec une bonne bière bien fraîche quand on sera arrivé à destination! Pour l’instant, on veut garder toute notre lucidité et notre énergie à l’approche des terres où il devrait y avoir un peu plus de trafic. Il faut rester vigilant.
On a fait des paris:
A quelle distance nous allions voir apparaître la terre?
Robin dit 70mn, moi je pense plutôt 50mn. Même si le point culminant de l’île est à 1224m, l’horizon lui, reste souvent bouché par de gros nuages. A vrai dire, je ne sais même pas si on va voir quelque chose apparaître au loin! Ça risque de nous sauter aux yeux aux pieds de notre étrave quand on aura passé le rideau gris.
En fin de journée, on a crié victoire!! Le bateau a enfin décollé avec une vitesse de pointe à 5,4 noeuds nous étions à nouveau dans la course! Cependant tous ces retards depuis 24h nous repoussent maintenant notre arrivée à mardi matin.
On a admiré notre 21ème coucher de soleil en pleine mer en compagnie de nouveaux oiseaux. On dirait une sorte de Sterne mais avec des queues d’hirondelles. Bref on sent bien que la terre n’est plus très loin. Il y avait aussi plein de petites bonites qui sautaient de partout. Robin a de suite sorti la canne à pêche mais sans résultat. Et puis les dauphins ont pris le relais. De vraies petites torpilles à chasser ces poissons.
Après tout ce joli spectacle nous avons allumé notre Peugeot non pour avancer plus vite mais pour recharger nos batteries qui, par manque de soleil et de vent ces derniers jours, se sont déchargées à un seuil critique.
Voilà pour ce 1er mai qui se termine en beauté. On espère que le vent ne faiblira pas et qu’on poura continuer notre allure au grand largue toute la nuit!
LE SPRINT FINAL
2 Mai 2022
Toute la nuit Morgane a galopé comme si elle savait qu’il fallait qu’elle rattrape ses miles perdus dans le petit temps de la veille. Elle nous a même fait un surf à 9,5 noeuds!! De quoi nous affoler un peu et de nous convaincre qu’il fallait quand même réduire un peu la grand voile! Ça serait dommage de tout casser si proche de notre but.
L’alizé du sud-est s’est encore un peu renforcé ce matin, il souffle maintenant à 15 noeuds. On navigue toujours grand largue avec un ris dans la grand voile et notre cap vise pile poil le Sud-Est de Nuku Hiva, on fonce! C’est le sprint final!!
Au même moment je suis captivée par ma lecture de Titouan Lamazou “Demain je serai tous morts” qui est en train de mener en tête le premier Vendée Globe Challenge en 1989.
L’émotion commence à monter…
Le ciel est gris blanc. Pas mal de nuages l’encombrent. Ce qui nous fait un peu d’ombre et nous apporte une très légère, mais vraiment légère sensation de frais.
A 60mn des terres il est encore impossible de voir quoi que soit à part des nuages et de l’eau. Robin a dès lors perdu son pari.
J’ai encore 2 heures devant moi pour gagner le mien…
TERRE EN VUE!
C’est à 40mn qu’elle apparaît à travers les nuages. On pensait voir un rideau de pluie mais finalement ce sont bien les contours d’une île qui se dessinent à l’horizon. C’est Ua Huka située à 20mn au sud-est de Nuku Hiva. D’une certaine manière j’ai donc gagné le pari car je me situe plus proche du chiffre parié!
Mais à la finale on a gagné tous les trois… On a gagné la victoire d’avoir traversé l’océan Pacifique sans avarie ni problème majeur. Juste la girouette qui a été saccagée par les oiseaux.
Aujourd’hui, le 2 mai 2022, on réalise un autre rêve ou plutôt un exploit! On vient de parcourir 2’850 milles nautiques soit 5’280 km en 22,5 jours à la voile!
Franchement on s’en sort plutôt bien.
Il est 20:45, encore une petite heure au grand largue avant d’empanner le Génois et tirer notre dernier bord au ciseau pour rejoindre la baie de Taiohae. Il fait nuit noire mais le ciel est clair et la voie lactée brille de mille feux. Le petit pêcheur s’est installé au bout de son croissant de lune.
A l’approche de la baie, nos narines sont à l’affût. On respire une odeur… l’odeur de la terre. Ici elle sent l’humus, la forêt tropicale, les copeaux humides.
Après avoir dépassé les deux grandes ombres qui marquent l’entrée de l’anse, des petites lumières apparaissent dans le fond. Pas beaucoup, juste ce qu’il faut pour nous orienter. Et pendant ce temps là, on se prend pour deux pirates en quête d’une nouvelle terre!
A 23:30 Morgane se faufile entre les bateaux pour trouver sa place où elle va enfin pouvoir se reposer.
A minuit l’ancre est mouillée dans 15 m de fond. On se pose dans le cockpit et décapsulons deux bières. Elles ont du goût ! Et je pense qu’elles vont faire effet assez vite pour trouver le sommeil.
Au réveil cela va être une grande surprise de découvrir ce qui nous entoure! Et je pense qu’à ce moment là on réalisera vraiment ce qui s’est passé!
FIN