Le Passage du Nord-Ouest
Le passage du Nord-Ouest est une route maritime d'environ 5000 kms de long, qui relie l'océan Atlantique à l'océan Pacifique en passant entre les îles de l’extrême nord Canadien. Ces îles sont séparées les unes des autres et du continent américain par une série de chenaux, parfois peu profonds. Ce passage n'est praticable que pendant le court été arctique car pris par les glaces le reste de l'année.
Durant 300 ans, de nombreux navigateurs se perdront à la recherche de ce passage, plus court chemin vers l'orient et au centre d'un enjeu économique planétaire puisqu'il raccourcit de près de 4000 kilomètres le trajet maritime "classique" entre l’Europe et l’extrême orient qui emprunte le canal de Suez. Après les tentatives de James Cook (1776) et John Franklin (1845), c'est le Norvégien Roald Amundsen qui ouvre le passage en 1906 au prix de 3 hivernages! |
On l'a fait!!
le 9 septembre 2019 Morgane
franchit le detroit de Bering!
Quelques chiffres:
4'631 mille nautique
8'567 km 58 jours de voyage 768 heures moteur 700 MN à la voile 15% de voile 85% de moteur et voile |
1460 litres de diesel
4 mers traversée 10 ours blancs 74°24 latitude la plus au nord 13 bateaux a voile d'est en ouest 0 dans l'autre sens 2 à 4 dixième de glace |
50 knots de vent max au mouillage
850 MN distance parcourue non stop 4 fondues au fromage 6 douches 35 soupes chinoise |
Notre livre de bord:
Mardi 30 juillet 2019: La traversée de la mer de Baffin est des plus agréables (...au possible!...)
Une mer plate pendant deux jours avec une alternance de brise de sud et de nord nous permettant d’avancer toutes voiles dehors et moteur à 1800 tours à une vitesse de 5 knots sur le fond! Même la température extérieure est très agréable, entre 7 et 12 degrés à l’ombre, une visibilité à plus de 100km! Bref ça glisse bien!
A l’aube du troisième jour, la terre est en vue! L’île de Bylot nous dévoile ses plus hauts sommets couverts de calotte glaciaire! Quel tableau! Et dire que nous étions passés au même endroit l’année passée sans rien voir jusqu’à Arctic Bay!
Le vent du nord s’est maintenant renforcé; ça caille de plus en plus et la mer se lève tranquillement. Mais ça nous permet d’avancer à la voile sans moteur pendant 16h! A l’approche du Sud-est de l’île Bylot sur notre droite à une centaine de mètres de Morgane, il est là.. je l’aperçois aux jumelles, le souverain de l’arctique! L’ours blanc se dandine sur la plage. Un regard rapide dans notre direction.. je crois qu’il nous souhaite la bienvenue au Canada Nunavut!
Allez! Encore 40 milles nautiques et des belles conditions de vent pour arriver à Pond Inlet le 2 août à 21h30 (heure Groenlandaise) et rejoindre Inook qui est mouillé devant une nouvelle digue de cailloux devant le village.
L’endroit n’est pas très bien protégé de la houle. D’ailleurs, un léger roulis faillit me donner le mal de mer à notre arrivée!
On se met un fajitas sous la dent et on monte à bord d’Inook festoyer notre traversée avant de se mettre au lit pour une bonne nuit récupératrice!
Au total 400 mille nautiques en 75 heures dans des conditions très agréables pour être situés au delà du 70 degrés latitude nord!
Samedi 3 août: Malgré la vague et le tangage de Morgane on a super bien dormi! On règle nos pendules à l’heure locale: 2 heures de moins qu’au Groenland. Et on s’active pour s’annoncer à l’immigration canadienne. Ici la procédure et les flics sont très agréables! On part ensuite avec Inook au supermarché Co-op pour réserver le camion diesel qui débarque une heure plus tard sur la plage.
Entre temps, Altego 2 et Opale sont arrivés au mouillage.
On passe à la bibliothèque où l’accès à internet est possible et gratuit pendant 30min sur un ordinateur. On tente une douche à l’hôtel mais sans succès!
Opale nous invite à prendre l’apéro à bord! Ça parle de glace, de nave, et de plein d’aventures! Il y a une bonne ambiance!
Dimanche 4 août: Un “Costa glouglou” est arrivé ce matin devant Pond Inlet. Il est temps pour nous de relever l’ancre et de faire un bout de route en direction de l’ouest. Il fait mega chaud (environ 17 degrés) et grand soleil, conditions optimales pour naviguer au moteur jusqu’au nord-ouest de l’île Bylot et rejoindre Tay Bay à 85 mille nautiques. En route, la mer est d’huile et nous permet d’apercevoir nos premiers Narvals (petits cétacés gris tachetés avec une dent hypertrophiée et spiralée qui peut atteindre 2 mètres).
On longe la côte sud de l’île Bylot d’assez près histoire de peut-être apercevoir aussi des ours blancs. Mais seules des oies des neiges blanches occupent les parages.
A 3h du matin, nous mouillons l’ancre à l’entrée de Tay Bay à côté de Snow White un autre voilier tchèque.
A notre réveil, le tchèque est reparti sans un bruit et Inook nous a rejoint.
En attendant que le vent et la pluie s’arrêtent, on se lave à l’intérieur de Morgane!!! Les cheveux d’abord dans un seau puis le corps à la lavette avec les pieds au chaud dans la bassine! Espace exigu mais opération réjouissante! Puis on passe la journée à l’intérieur de Morgane à lire, dormir et de temps en temps on appelle Pascal et Laurent à la VHF pour converser car il est hors de question de mettre le nez dehors tellement (...)il pleut!
Il est 19:00 (heure locale): c’est l’heure de recevoir notre carte des glaces actualisée envoyée par notre routeur Joël!! On est comme deux gosses se réjouissant d’ouvrir un cadeau tant attendu! Impossible même de s’endormir avant de la visionner!
Cependant elle n’est pas très réjouissante.. Je parle de celle nommée « Approche et Resolute ». Elle nous indique qu’il y a maintenant de la glace au milieu du détroit de Lancaster alors qu’il n'y en avait pas ou plus 2 jours auparavant !! Comme quoi ça n’arrête pas de bouger, d’évoluer, de se densifier ou même fondre!!
Bref maintenant il faut dormir! Bien dormir pour être prêt à naviguer quelques heures voir des jours non stop dans la glace!
Mardi 6 août: 8h du matin, le ciel s’est éclairci et le vent souffle un peu moins fort. Inook est déjà reparti. On se met aussi en route quelques heures plus tard en direction du nord-ouest pour rejoindre un mouillage au sud de l’île de Devon.
La sortie de Navyboard Inlet se fait à la voile. Malheureusement passé le cap Craiford, nous sommes contraints d’allumer le moteur et ceci pendant les 2 prochains jours non-stop. Bon, l’avantage quand il n'y a plus de vent, c’est qu’il fait vite très chaud! On traverse le Lancaster sound en diagonale. Inook est situé à 6 MN en avant. Cependant à la réception de la nouvelle carte des glaces, ils décident de rejoindre Dundas Harbour un peu à l’Est de leur trajectoire car la densité du Pac de glace a augmenté. De notre côté, après étude approfondie de la carte, on décide d’aller voir ce qu’il en est!
C’est à la hauteur de Powell Inlet au 74 20.885 N / 85 40.758 W que nous rencontrons un PAC de glace de 4/10. On le longe le laissant à notre gauche et regardons pour un plan b. Mais plus on approche la côte sud de Devon et aucune eau libre n'est en vue. Alors on tente de passer à travers.
Et ça passe plutôt bien! Robin est perché dans le mât pour une meilleure vue et m’indique les meilleures voies d’eau libre de glace. Au fur et à mesure de notre avancée cette traversée dans la glace devient un jeu. Même quand le brouillard s’installe, on prend un malin plaisir à frôler au plus prêt les floes! Cependant à force de scruter à l’avant de la proue, les yeux commencent à brûler!
Après 60 MN à slalomer entre la banquise de 4/10 à 2/10 de glace, nous atteignons enfin l’eau libre et décidons après une nouvelle carte de glace tout juste reçue, de redescendre au sud du Lancaster sound et rejoindre un mouillage bien abrité à Port Léopold situé au nord-est de L’île de Somerset, pour attendre que la glace fonde plus bas.
On a fait une belle avancée mais il faut que nous patientions maintenant avant de continuer !
Port Léopold est un bon endroit stratégique. Car il nous permet de minimiser les détours au cas où Peel sound venait à s’ouvrir avant Prince Regent sound.
Mercredi 7 août: Il est 22h30 quand nous mouillons l’ancre dans l’immense baie de Port Léopold bien prise dans le brouillard. On distingue des Bélugas qui chassent le long du rivage encore bien encombré de glaces.. nos oreilles se relaxent enfin dans ce silence immense. Allongés et dans un sommeil profond, un fracas sur la coque de Morgane nous sort du lit illico presto! La débâcle a commencé! La marée haute vient cueillir ces débris de banquise côtière et les retire en pleine mer. Des grosse plaques de glace passent alors à côté de Morgane et il arrive qu’elles heurtent la chaîne ou la coque faisant un bruit très désagréable comme si on écrasait des centaines de paquets de chips d’un coup!
Robin sort à chaque choc pour pousser les plaques à l’aide de notre pic à glace..
Jeudi 8 août: Le brouillard s’est complètement dissipé et nous découvrons les lieux où nous sommes mouillés. De hautes montagnes aux sommets plats bordent l’Est de la baie. Une immense plaine désertique occupe le nord et une chaîne de collines s’étend sur la partie ouest. On scrute les environs aux jumelles avant de mettre notre annexe à l’eau. On fait bien car là, juste au bord de la plage à 300 mètre sur la gauche de Morgane, deux taches blanches occupent maintenant les lieux. Une maman ours et son petit font la sieste! Du coup, notre séjour à terre est compromis! On va attendre que Inook nous rejoigne pour débarquer armés!
Laurent et Pascal ne tardent pas trop et arrivent vers 22h. Nous sautons sur leur Boréal pour approcher la berge et observer de plus près les nounours!
A une distance raisonnable, à une centaines de mètres, voilà que la maman ours se lève et dans une marche décidée embarque son rejeton en direction de la montagne afin de le mettre en sécurité. Quant à nous, on reste sur l’eau et allons mouiller avec Inook. Espérons qu’ils ne reviennent pas le lendemain pour nous choper à terre.
On est très content qu’Inook nous ait rejoint. C’est rassurant d’avoir de la compagnie dans ces endroits un peu désolés.. rien que d’un point de vue sécuritaire c’est mieux d’être deux bateaux!
Vendredi 9 août: Encore une journée entière où nous restons cloîtrés dans Morgane! Il pleut et le vent s’est levé et il rentre pile dans la baie ce qui provoque une légère vague et pousse quelques gros glaçons dans notre direction. Rien qui vaille pour aller à terre avec notre annexe. On en sortirait trempés! Du coup, on invite Pascal et Laurent à bord de Morgane pour manger une bonne fondue au fromage suisse!
Tout se passe bien, la fondue se mange, quand soudain après un petit check sur le pont on réalise que le vent s’est accéléré et de gros glaçons se rapprochent de plus près d’Inook.
Laurent et Pascal quittent Morgane dans la foulée et on décide ensemble de lever nos ancres!
Direction l’autre côté de la baie.. cependant ça croche mal et les fonds ne sont pas réguliers.. bref c’est la merde! On retourne s’ancrer à notre spot initial pendant que le vent retombe! Franchement on avait pas besoin de griller du carburant pour ça! Cela dit on est maintenant rassuré de savoir que notre moteur tourne bien après que Robin ait changé les filtres et pré-filtre à diesel ce matin même.
Pascal et Laurent reviennent sur Morgane pour terminer le repas laissé en plan pendant cette heure de digestion!
Samedi 10 août: Toujours chez Léopold.. il est temps d’aller à terre! Pas d’ours en vue juste une petite pluie fine qui rince toute la baie. On embarque avec les deux bretons armés pour rejoindre la plage. À marcher sur le sol jonché de glaise et de cailloux de style ardoise tantôt dur, tantôt mou, nous avons une sensation d’être en territoire hostile. A chaque 10 mètres on scrute l’horizon: devant, derrière, de côté..
Mais que ça fait du bien de marcher!
Nous partons en direction de la rivière pour voir si il y a du poisson. Une maison en ruine (ancien poste de traite) est située juste après au nord-est de la plage. C’est le truc à visiter par ici!
Cependant à quelques mètres de celle-ci, je fais un petit check en arrière... et voilà que j’aperçois au fond de la plaine deux taches blanchâtres, vérification avec les jumelles, je confirme que c’est deux ours! Sûrement la maman avec son rejeton. Ni une ni deux, on rebrousse chemin en direction de l’annexe. Ne pouvant pas être sûrs de leur trajectoire et de la distance qui nous sépare, on accélère le pas !
Mine de rien on s’emballe vite à marcher des mètres .. mais tout finit bien. On arrive à l’annexe transpirants mais rassurés!
On retourne chacun sur son bateau car il est l’heure de télécharger les cartes des glaces.. et ça prend des plombes!!
On reçoit une information très intéressante du spécialiste de la glace de Montréal. Le papa de Robin nous met en contact avec un Monsieur Jacques Collin météorologue à Montréal. Il nous envoie une carte zoomée de l’état des glaces du Peel Sound ce qui accroît notre envie de le rejoindre au plus vite ! On échange nos infos avec Inook. Et dormons un peu..
Dimanche 11 août: Pour nous c’est décidé, on tente le passage par le Peel Sound! Il est 4h du matin et la pluie a cessé. Nous relevons l’ancre et quittons Léopold et Inook. De toute façon c’est le moment de quitter cette baie car de grosses plaques de glace reviennent l’envahir. Nous longeons de près toute la côte nord de l’île Somerset. On aperçoit une dizaine d’ours solitaires qui se baladent le long du rivage. Au fur et à mesure de notre avancée, les nouvelles cartes des glaces ainsi que le vent de secteur Est, confirment notre bonne décision de s’engager dans le Peel! Alors on fonce!
Après réflexion, Inook nous suit quelques heures plus tard! Génial!! Plus sympa d’être en équipe!
Lundi 12 août à 1h15: Nous entrons dans le Peel Sound libre de glace sur tout son côté Est. Seuls quelque morceaux de banquise subsistent mais sont faciles à éviter. La mer est d’huile, pas un souffle de vent. Un brise glace canadien suivi par un bateau ferry de croisière, Le Bremen, nous devancent au petit matin. Inook est maintenant à 13MN devant nous.
Au passage du cap Couman, on touche du vent du sud, pile dans le nez, par rafale de 20kt, ce qui nous ralentit drastiquement! Mais on tient bon. On rase la côte pour éviter au maximum les vagues et la glace.
A la hauteur des îles Otrick, nous apercevons des milliers de phoques qui nagent de part et d’autre de Morgane. Puis arrivés à la péninsule Hurditch, un large cordon de glace du 6/10, nous barre la route. On retourne un peu en arrière et trouvons finalement un passage tout près de la côte. Maintenant le vent souffle de travers et nous permet de bien avancer jusqu’à un mouillage situé à 7MN au nord du Bellot Strait.
Mardi 13 août à 6h20: On mouille l’ancre à côté de Inook et enfin dormons quelques heures au calme sans moteur!
A 16h20, bien reposés, Inook nous dépanne de 20 litres de diesel pour assurer notre autonomie jusqu’au prochain port (Cambridge). Merci les copains! Puis on se remet en route. Ça souffle fort! 35kt d'Est. Ce qui nous permet de continuer notre descente à la voile en direction des îles Tasmania. La clé du passage du Nord-Ouest au niveau des glaces. Car c’est ici à l’entrée du Larsen Sound que la glace peut résider toute l’année!
A 18h, l’entrée ouest du Bellot Strait est doublée à la voile! Sacrée belle étape!
On réalise aussi que ça fait trois ans maintenant que Morgane est rentrée dans notre vie et que grâce à elle et à son cher constructeur bien aimé Philippe Plateau, nous réalisons cet exploit!
Cependant, plus on descend et plus le temps se gâte.. on va se prendre une rincée propre en ordre. A l’approche du cap Sir Nicholson le vent est tombé ce qui nous va bien car la glace est proche. On remet le moteur et rencontrons à nouveau de la banquise de 2/10. Le ciel se noircit de plus en plus. L’eau est maintenant de couleur gris-metal, ce qui contraste bien avec la couleur blanche des morceaux de banquise.
Puis à 30MN des îles Tasmania, c’est au tour d’un épais brouillard de prendre place en plus du crachin breton. Le slalom dans les glaces devient un peu plus compliqué. Mais on y arrive !
Mercredi 14 août à 4h du matin: Nous sommes avec Inook, les premiers bateaux à passer le détroit de Franklin pour cet été 2019. C’est une première victoire! Car le plus dur au niveau de la glace est maintenant derrière nous! Quel soulagement! On retrouve Inook à Pasley Bay pour se reposer. J’ai fait du pain et un gâteau aux pommes, j’ai même profité de la navigation redevenue calme pour me laver les cheveux ce qui me redonne de l’énergie. Cependant, à notre approche du mouillage, Pascal sort sur le pont et nous annonce qu’ils repartent d’ici peu ! La déception est totale!!
Mais effectivement la météo étant favorable, nous ne pouvons pas nous arrêter tant que nous pouvons avancer!
Ici quand tu fais le passage du Nord-ouest il n’y a pas de temps pour faire du tourisme!
De plus un large cordon de 8/10 de glace est en train de refermer le détroit de James Ross pour atteindre l’île de King William. Alors on a pas une seconde à perdre! Si nous voulons rejoindre Cambridge Bay sans devoir passer par Gjoa haven (détour de 100MN), nous devons foncer! Moteur à coin et toutes voiles dehors nous atteignons les îles Clarence vers 23h.
Il fait nuit, tout en assistant à un magnifique lever de pleine lune orange, nous longeons le PAC de glace épaisse où de grosses taches noires (...) sont étendues.. on réalise avec un peu plus de lumière que ce sont des gros phoques! Il y en a partout!
Jeudi 15 août 5h20: On trouve enfin une issue à travers la banquise pour rejoindre le cap Félix.
Voilà ça y est.. nous sommes enfin dans de l’eau libre de glace!
Encore 2 jours de navigation au moteur et à la voile à travers le Victoria Strait puis le golfe de la Reine Maud pour finalement arriver à Cambridge Bay le vendredi 16 août à 20h10.
On se met à couple d’Inook déjà amarré au ponton. Ah Quelle aventure!
Il est tard, on est bien fatigué mais avant d’aller se coucher, on se fait une petite séance débriefing accompagnée d’un petit apéro sur Inook pour célébrer cette première victoire ! On est au tiers du passage du Nord-ouest!
Samedi 17 août 7h: Levés aux aurores pour refaire le plein de diesel commandé la veille par Inook. Finalement ce n’est que vers 9h que le camion citerne arrive au ponton. C’est le week-end le visiteur center est malheureusement fermé ainsi que la libraire de la haute Ecole. Impossible donc de trouver du wifi!
La chance nous sourit pourtant en marchant dans la rue sableuse principale de la ville car nous tombons nez à nez sur Kevin et Steve, deux canadiens charpentiers qui viennent travailler en Arctique 5 mois de l'année. Nous les avions rencontrés à Arctic Bay l'année passée. Ils sont ici cette année. Grâce à eux on peut enfin prendre une vraie bonne douche!! La dernière datant de Aasiaat au Groenland (18 juillet).
En attendant l’arrivée de la flotte des trois autres bateaux, on refait le plein de légumes frais à la Coop! Vers 19h on rejoint Kevin et Steve à l’unique bar du Nunavut pour boire une bière hors de prix à 12 dollars!! De retour au ponton, Breskell et Altego sont arrivés. On se félicite tous!
Dimanche 18 août 8h: Il est temps pour nous et Inook de se remettre en route pour l’Ouest. La météo est en notre faveur pour les trois prochains jours.. il faut en profiter! La mer est d’huile. Il fait grand beau et chaud! Je profite de faire du pain et des bon petits plats à base de légumes.
Notre vitesse de croisière est de 5kt puis passé le détroit de Dease un courant de face nous ralentit à 3.5kt!! La misère ! On est pas rendu! Au milieu du golfe de Coronation on commence à toucher un bon vent d’Est et pouvons continuer à naviguer dans le détroit Dolphin & Union à la voile!!
Le soleil ne monte plus si haut. Si bien qu'il se couche à 22:30 et se relève à 4h48.. la nuit revient ! Heureusement il n y a plus de glace et pas de trafic!
Difficile de reprendre un rythme de quart.. pour ma part je suis raide et commence à trouver le temps long! Même si les bonnes conditions nous permettent de veiller chacun notre tour 5 à 6 heures.. en s’assurant que notre très cher pilote électrique automatique garde le bon Cap! Et dès qu'il y a un petit air on déroule le génois pour avancer plus vite contre ce maudit courant !
Il n'y plus d'oiseaux, ni de phoques.. seules des étendues de toundra et de désert de cailloux à perte de vue. Les quelques sommets qu'on aperçoit n'atteignent que 200m max! C'est monotone !
La pleine lune toute orange nous accompagne la nuit. C'est magnifique de la voir se lever!
Breskell, Altego et Opale vont rester à Cambridge jusqu'à lundi .. ils nous rattraperont sûrement! Inook est déjà bien devant nous. Il est plus gros et son moteur plus puissant ! On se contacte de temps en temps par message iridium! On se raconte ce qu'on a cuisiné et on s'informe de nos progressions.
A partir du cap Thomson ça se complique. Il commence à pleuvoir sérieusement et le vent commence à souffler de l’ouest et nous ralentit encore un peu. Notre cher Jacques Collin, spécialiste météorologue de Montréal, nous informe qu’une grosse dépression nous arrive sur la figure dans 48h.. on ne va pas arriver à rejoindre Tuktoyoktuk d’une traite.
Il faut espérer maintenant que la dépression soit en retard et avancer le plus loin vers l’ouest et trouver un abri.
Jeudi 22 août 9h: On serre les dents .. et rejoignons tant bien que mal Summer Harbour sur l’île de Booth juste après le cap Perry quelques heures avant le fort coup de vent!
Maintenant on va dormir et récupérer le plus possible!
Nous avons quitté le Nunavut et sommes entrés sur les Territoires du Nord-Ouest.
Inook a pris une belle avance et a réussi à passer le cap Bathurst avant la dépression. Ils seront à Tuk bien avant nous. Du coup on ne les reverra pas avant Kodiak là où ils vont hiverner le bateau. Leur bonne compagnie va nous manquer.
Vendredi 23 août: Une légère accalmie du vent et de la pluie nous motive pour aller visiter les lieux et surtout en profiter pour refaire le plein d’eau à la rivière. Cependant on inspecte comme il faut les lieux aux jumelles avant d’aller à terre!
Ça nous a l’air inhabité.. seul un couple de goéland garde l’île. À la descente de l’annexe, malgré tout, un sentiment étrange nous habite. On examine le sol pour voir si on trouve des empreintes de plantigrades.. Seules des énormes crottes de lièvres arctiques et probablement de boeufs musqués sont éparpillées près de la rivière. On se rassure en se disant qu’il ne peut y avoir d’ours ici car la banquise a fondu depuis longtemps et que les phoques sont inexistants. On embarque quand même dans un sac à dos nos fusées de détresse, une corne de brume, un couteau et le téléphone satellite..
Une magnifique éclaircie nous accompagne pendant la balade. Nous découvrons de l’autre côté de l’île de spectaculaires falaises bordées par une eau turquoise où barbotent des Eiders. Il y a aussi une tonne de bois flottés sur la plage de galet. Au retour, on longe le lac et espérons pêcher un poisson .. mais aucune présence ne nous fait signe. On retourne au bateau avec un premier plein d’eau. Puis Robin enchaîne seul les trois autres aller-retour de jerricanes d’eau pendant que je scrute l’horizon depuis le pont de Morgane au cas où une tache blanche apparaîtrait.. mais rien à signaler!
Vers 19h au moment de changer de mouillage pour trouver un spot un peu mieux abrité, un énorme phoque fait irruption à deux mètres du bateau! Nous sommes tous les trois surpris. Il n' a pas peur et reste à nous regarder en faisant la brasse! Il est bien curieux celui-là !
On se rapproche de la plage et ancrons entre un îlot et l’île principale. La manoeuvre est réussie. Les fonds tiennent superbement ! On va se coucher avant que la tempête n'arrive.
Samedi 24 août 6h: Le gros coup de vent a changé d’angle.. notre alarme de mouillage nous signale que le bateau est sorti de la zone de sécurité. Il faut bouger! Et vite! Le banc de sable est maintenant à quelques mètres derrière Morgane! On risque de s’échouer !
Je suis à la barre, Robin devant à l’étrave au moment de remonter l’ancre me hurle « OURS », avec le fort vent qui siffle, j’entends « LOUP » .. je regarde à 360 degrés et percute la grosse tache blanche juste devant l’étrave! C’est bien un ours! Plus précisément une jeune maman et son bébé de quelques mois !
Oh lalalala comme on a eu chaud! A deux fois!!
De une, ils auraient pu nous sauter facilement dessus pendant notre balade à terre, et de deux, ils nous auraient cueillis après notre échouage sur l’îlot!
Mais on s’en sort très bien et allons mouiller quelques mètres plus au nord sous l’oeil bienveillant de maman ours. Ils nous suivent d’ailleurs et se reposent juste en face de Morgane à côté de la petite rivière où nous remplissions nos jerricanes la veille!
Terminé la balade à terre! D’ailleurs on dégonfle l’annexe sur le pont pour éviter aussi au maximum du fardage lors de nos futures navigations au près!
Le temps s'est bien rafraîchi, il fait -1 degré, ça pique le visage.
On va passer notre journée sur Morgane à observer le comportement des ours. Ils ne bougent pas beaucoup. Ils attendent patiemment là couchés derrière un bosquet quelque chose .. on sait pas trop quoi? Ils se font des câlins! Ils sont tellement attendrissants que ça nous donnerait presque envie de se blottir avec eux!
On croise les doigts pour avoir une fenêtre météo convenable pour dimanche et poursuivre notre route à l’ouest et rejoindre Tuk.
On est dans un système dépressionnaire et devons tenter notre chance à la moindre accalmie! Sinon on risque de passer un nouvel hiver en Arctique !
Dimanche 25 août: Après avoir passé notre nuit à changer par deux fois de mouillage à cause des changements de direction inattendus des forts coups de vent, nous remontons l’ancre une bonne fois pour toutes à midi et quittons Summer Harbour et les nounours qui sont toujours au même endroit.
Robin a installé le foc sur le pont. On est parés pour faire une navigation au près serré et rejoindre la mer de Beaufort située à 70MN d’ici. Le vent a bien diminué ce qui nous permet de pas trop galérer à piocher de la vague avec du vent dans le nez.. ça se passe plutôt bien. On tient les 5kt avec le foc, la GV et le moteur.
Lundi 26 août 8h: Au passage du Cap Bathurst un fort courant de face nous ralentit; nous sommes maintenant dans la mer de Beaufort, une mer de couleur brune, agrémentée de vagues hachées et courtes à cause des hauts fonds qu’il y a un peu partout! Ça ressemble beaucoup à la Mer du Nord..
On suit tant bien que mal la ligne des 16 mètres et avançons à 3kt.. heureusement pour l’heure il n’y a que 10 noeuds de vent de face! Encore 120MN .. à ce rythme.. on est pas rendu à Tuk pour mardi matin!
Quelques milles plus tard, Beskell nous a rejoint au gallop comme son nom l’indique. Ils font du 6kt sur le fond à sec de toile et turbo à fond! C’est sûr on se retrouvera à Tuk pour boire un coup!
Quelques heures plus tard, passé le cap Dalhousie, nous voilà contraints à tirer des bords à la voile pour économiser notre moteur qui peine à avancer contre ce maudit courant et le vent de face maintenant établit à 20 noeuds ce qui creuse une vague de plus en plus grosse! On avance à 1,5 noeuds sur le fond.
A l’intérieur de Morgane ça gîte dans tous les sens.. s’ensuit une partie de rodéo!
Robin a hissé le foc pris deux ris dans la GV et mis en place le régulateur d’allure. Et le vent n’arrête pas d’augmenter!
Notre cap est mauvais on remonte en direction du pôle Nord! Mais on s’accroche et espérons une accalmie pour la fin de la nuit et reprendre un cap Sud-Ouest. Un léger mal de mer me cloue à la banquette. Pendant 10 milles nautiques nous faisons route au nord quand soudain Robin aperçoit un poteau planté là au milieu de l’eau! Les yeux rivés sur le sondeur, la profondeur passe de 20 mètres à 3 mètres en une fraction de seconde! Et ce piquet qu’est ce qu’il fout là bordel?
Moment de panique à bord, il me crie « attention je dois virer »!!
Je sens que c’est l’horreur dehors et j’aimerais l’aider mais je suis à deux doigts de me vomir dessus. J’ai juste la force de changer de côté de banquette pendant que Robin s’éloigne précautionneusement de cette zone dite « caution area » et mal positionnée sur la carte!
Puis Il va passer une heure sans quitter le sondeur des yeux. Et dormir à coup de quelques minutes tout habillé à même le sol entre la cuisine et la table à carte. Au petit matin, le calme est revenu et je le relaie enfin après qu’on ait remis le moteur et cap sur Tuktoyaktuk. On a eu chaud!
Mardi 27 août à 20h43: On y arrive enfin en début de soirée accueillis chaleureusement par nos amis du Breskell. On se met à couple et sommes invités à manger à leur bord. Leila, leur équipière, nous a préparé un magnifique saumon offert par un pêcheur local. Pendant qu'Olivier répare le trou causé par un growler à l’avant de son bateau.. .. no comment !!
Enfin juste pour faire court : ils ont heurté le seul et unique bout de glace qui dérivait sur nos routes à la hauteur du cap Bathurst! Vraiment pas de bol! Ils s’en font un par année!
Heureusement, Olivier le capitaine, charpentier naval, a construit lui même son Breskell en bois et peut de ce fait étanchéifier la brèche sans problème!
On se retrouve enfin comme l’an dernier tous à bord du Breskell et trinquons à une amitié forte dans ce monde rude du passage du Nord-ouest.
Les deux tiers du Passage sont faits!
On s’endort comme deux grosses masses avec la tête qui tourne un peu.
A 6h du mat réveillé par « un bang » sur le balcon de l’étrave.. c’est Snow White qui s’amarre sur nous! Même pas un bonjour ni une excuse de nous sortir du lit de la sorte .. pas très cordial ce Tchèque !
Quelques heures plus tard on se met en route pour une petite session fitness pour refaire le plein de diesel de nos 15 jerricanes de 20l et 25l. Heureusement la station service est située à 50m du ponton. Puis nous partons visiter la ville pour se dégourdir les jambes et dérouiller les hanches.. car ça fait bientôt 1 mois qu’on navigue sans pouvoir faire des grandes marches à terre. On refait un petit plein de légumes et de cornflakes!
Désespérant de trouver du wifi et une douche nous rentrons sur Morgane et je me lave les cheveux dans la bassine pendant que Robin fait la vidange d’huile et change les filtres. On a zappé la sieste..
En début de soirée on accueille Olivier et Eric pour boire une bière à bord de Morgane. C’est déjà minuit on n'a rien vu passer !
Jeudi 29 août, 8h: On largue les amarres de Tuktoyaktuk. Breskell nous emboîte le pas. Snow White reste au ponton car son réducteur est à nouveau cassé.
Le beau temps est finalement revenu! La mer s’est bien calmée. Ça fait du bien de reprendre la route sous ce beau soleil.
S’ensuit 2 jours de navigation tranquille au moteur pour changer et rejoindre un abri situé à 30MN à l’ouest juste après Kaktovik en Alaska.
Un fort coup de vent d’Est est annoncé pour le week-end. Dommage qu’il soit si fort car on aurait pu avancer à la voile jusqu’à La pointe de Barrow! Cependant notre chère Morgane est trop petite pour encaisser du 50 noeuds avec une vague de 4m hachée.. et nous de même pas très envie de tenir la barre pendant 48 heures dans le froid et à recevoir des paquets d'eau dans le cockpit.
Samedi 31 août 8h: L’accès dans la baie de Simpson Cove nous fait des belles frayeurs car il n’y a pas beaucoup d’eau dans la passe et ça commence à souffler bien fort. Il y a des déferlantes de partout! L’îlot que nous devons contourner et pourtant noté sur la carte est inexistant.. le sondeur mesure 5m puis 2m10 puis 1m70.. olalaala on est à deux doigts de l’échouage ! On continue malgré tout jusqu’au fond de la baie.. et mouillons deux ancres à 1,70 mètres d’eau avec comme fond de la vase sous le regard d’un couple de phoques! Ça y est! Ils peuvent venir les 100km à l’heure de vent, on risque pas de bouger d’un poil!! Mais plutôt on risque bien de rester bloqué ici pendant un moment... Le vent souffle fort très fort et on réalise quelques heures plus tard que le bassin se vide sous les rafales incessantes!! L’eau est maintenant plus brune que notre noix de coco!!
On commence déjà à prévoir des plans B pour repêcher nos ancres et ressortir Morgane de la baie sans s’échouer complètement! Finalement le niveau d’eau de la baie est descendu de 20cm dû à la pression du vent et même à marée basse il nous laisse les derniers quelques centimètres sous la quille pour rester en flottaison.. oufff...
Malgré ce petit tracas, on est bien protégés. Le ciel se dégage petit à petit et nous pouvons admirer la magnifique Chaîne de Brooks au fond de la vallée de la toundra. Les pics de 2000m sont encore enneigés et bien vertigineux. Des envies de ski nous montent à la tête!
Pendant ces deux jours de pause on essaie de dormir un maximum.. d’ailleurs ma sieste se transforme en 14h de sommeil! Pioouuf j’avais besoin de récupérer! On fait du pain, un gâteau aux pommes et on télécharge la météo toutes les 6h. C'est devenu notre rituel.
Une petite séance coiffeur s’impose pour Robin. Il n’y voit plus clair! Deux trois coups de ciseaux et l’affaire est réglée! C'est un homme nouveau!
Le phoque vient de temps en temps nous dire bonjour. Un instant il toque contre la coque et essaie de se hisser sur le pont de Morgane! Étrangement curieux!
Grâce à ces deux jours de vent super fort notre éolienne a ressuscité! Elle tourne maintenant comme un moulin et permet de charger nos batteries propre en ordre!
Lundi 2 septembre 13h: Il est temps de repartir. On est bien reposés et profitons du reste du vent d’Est pour continuer vers l’ouest!
On remonte nos ancres tranquillement sans avancer au moteur car plus on ramasse de chaîne plus le fond monte. On est à 1m40 d’eau au dernier mètre. Il reste donc 10cm sous la quille du bateau! L’opération est délicate et un peu stressante mais tout se passe bien et Morgane pivote tranquillement sur elle même poussée par le vent en direction de la sortie. Enfin, une autre sortie car la passe par laquelle nous sommes entrés est maintenant fermée. Ça déferle sec! Alors on tente de continuer le plus à l’ouest de la baie en espérant trouver une autre issue. On navigue au feeling le plus proche du banc de sable pour mieux apercevoir un trou où il y a moins de déferlantes. C’est quelque peu flippant car pour passer l’issue, des grosses vagues de 4m nous attendent de l’autre côté ! Moteur à coin en plus du Génois pour pas se faire choper par une vague. Je barre Morgane comme si j’étais sur ma planche de surf et essaie de monter au “pic” sans me faire engloutir par une mousse! Enfin sortis, nous voilà confrontés à des immenses talus et le vent souffle encore bien fort. Il était sensé diminuer pourtant.. ??
Pendant 24h on ne va donc pas pouvoir lâcher la barre. On va faire des surfs à 9 knots. On va se faire chahuter. Une vague tellement grosse va même me propulser à l’avant du cockpit et me faire lâcher la barre ce qui fait partir Morgane au Lof (au tas). Bref c’est effrayant, fatiguant, éprouvant. Je suis à bout. J’en peux plus.
Cette mer de Beaufort nous en fait voir de toutes les couleurs jusqu’au ciel où nous apercevons à nouveau des étoiles et la dance des premières aurores boréales qui apaisent de peu notre ras le bol.
Mercredi 4 septembre: Enfin on y arrive à cette pointe de Barrow tant espérée et tant rêvée! Peu après 10h on aperçoit le petit phare et la langue de terre basse qui s’avance. Voilà Barrow! Le point le plus septentrional des Etats-Unis. A 12h40, ce 4 septembre 2019, Morgane double le cap et entre dans la mer des Tchouktches.
On tente de contacter la police de Barrow pour avoir l’autorisation de venir à terre et refaire le plein de fuel de quelques jerricanes histoire d’avoir un peu plus de marge pour le reste du parcours jusqu’à Nome. Je tombe sur une charmante dame qui essaie de me transférer chez le bureau d’immigration à Anchorage. Personne ne comprend notre requête et la communication via satellite n’arrange pas les choses. Ça coupe et ça grésille. Bref après plusieurs appels, on laisse tomber notre ravitaillement et poursuivons notre route en direction du Sud en faisant un maximum de voile.
Nos chers compagnons sur Inook qui sont déjà arrivés à Nome, nous informent qu’il y a pas mal de courant de face (2,5knots) pour changer dans le détroit de Béring. Ce que nous confirmons à peine passée la pointe de Barrow, et les fichiers météo changent toutes les 24h..
La période des grandes dépressions a commencé dans cette région.. il va falloir prier très fort et implorer Eole pour espérer passer entre les coups de vent et ne pas devoir naviguer dans du gros temps.
Jeudi 5 septembre: Juste avant le Cap Icy on pensait s’arrêter 24h voir 48h le temps de récupérer un peu et attendre qu’une dépression passe. Cependant, après consultation incessante des fichiers météo, qu’on relève toutes les 6 heures, on décide de poursuivre non stop car ça a l’air de bien se peaufiner plus bas! Et il ne faudrait surtout pas manquer une aussi belle opportunité de passer entre les gouttes et finaliser le passage du Nord-ouest en beauté.
De toute façon, on est maintenant bien amarinés et avons trouvé un certain rythme de croisière donc plus besoin de s’arrêter! On se reposera à Nome situé à 900km plus bas..
La mer des Tchouktches est bien plus clémente et agréable à naviguer que sa voisine. Il fait agréablement chaud. L’eau à 15 degrés donne une température très agréable à l’intérieur du bateau. On avance pas trop mal malgré ce courant de face, et les bonnes conditions de vent nous permettent enfin de naviguer à la voile! Un peu humide tout de même, heureusement Zoro notre super pilote automatique à vent prend un plaisir fou à barrer Morgane sous les trombes d’eau.
Vendredi 6 septembre à 20h15: Et ça double le Cap Lisburne. La météo est toujours favorable, pas de coup de vent annoncé pour les trois prochains jours. On navigue en alternant moteur et voile..
Passé Point Hope la visibilité devient mauvaise. Un épais brouillard accompagné de crachin nous accompagne toute la nuit et le jour suivant. Le temps s’est refroidi. Mais le vent souffle toujours d’Est-Sud-Est ce qui nous permet de naviguer sous voiles et régulateur d’allure et on en profite pour enfin bien dormir.
Dimanche 8 septembre: La côte de la Sibérie se fait discrète sur notre droite. On remet le moteur en marche pour appuyer un peu notre allure qui a ralenti sous voiles. Toujours très humide par ici!
Une ligne virtuelle, celle du cercle polaire est franchie et nous symbolise une belle progression vers le sud comme si les grands froids étaient à présent derrière nous.
Puis conformément au fichier météo, ce petit coup de vent du sud que nous redoutions nous arrive dessus.. juste 20kt de face.. avec 2,5kt de courant aussi de face.. je vous annonce que notre vitesse est maintenant de 1,8kt sur le fond avec le moteur à coin! Oh Misère!!! Et ça va durer 10h..
Alors on tire un long bord en direction du Sud Est au près serré afin de se rapprocher au max de la côte de l’Alaska et d’y trouver un refuge dans le “shoal” et attendre que ça se calme!
Plusieurs vagues passent par dessus le pont venant s’écraser sur Robin qui tient comme il peut la barre et moi j’éponge l’eau salée qui ruisselle à l’intérieur de Morgane. (Il faut vraiment que nous modifions cette entrée.. mais c’est pas le moment de penser à ça).
Jusqu’au bout ce passage nous tient en haleine, teste notre résistance, notre volonté, nos nerfs. Il veut nous montrer que jusqu’à la fin c’est lui qui est le plus fort et nous ne sommes pas les bienvenus sur son territoire. Ici en Arctique on n’a pas le droit à l’erreur et surtout on ne peut pas se relâcher tant que c’est pas fini! L’Arctique ça pardonne pas! Il faut faire juste et surtout au bon moment ici!
Enfin c’est à 00h49 ce lundi 9 septembre 2019 que Morgane double le cap de Prince of wales à la sortie du détroit de Béring, et le passage du Nord-Ouest est accompli.
Nous allons nous reposer à Nome en attendant qu’une prochaine fenêtre météo nous permette de continuer au sud en direction de Kodiak. Je crois qu’on ne réalise pas encore ce qu’on vient de faire... en tout cas une chose est sûr c’est que nous ne le re- ferons pas!
O Captain! My Captain!
O Captain! My Captain! our fearful trip is done;
The ship has weather'd every rack, the prize we sought is won;
The port is near, the bells I hear, the people all exulting,
While follow eyes the steady keel, the vessel grim and daring
Walt Whitman (09 mars 1887)
Une mer plate pendant deux jours avec une alternance de brise de sud et de nord nous permettant d’avancer toutes voiles dehors et moteur à 1800 tours à une vitesse de 5 knots sur le fond! Même la température extérieure est très agréable, entre 7 et 12 degrés à l’ombre, une visibilité à plus de 100km! Bref ça glisse bien!
A l’aube du troisième jour, la terre est en vue! L’île de Bylot nous dévoile ses plus hauts sommets couverts de calotte glaciaire! Quel tableau! Et dire que nous étions passés au même endroit l’année passée sans rien voir jusqu’à Arctic Bay!
Le vent du nord s’est maintenant renforcé; ça caille de plus en plus et la mer se lève tranquillement. Mais ça nous permet d’avancer à la voile sans moteur pendant 16h! A l’approche du Sud-est de l’île Bylot sur notre droite à une centaine de mètres de Morgane, il est là.. je l’aperçois aux jumelles, le souverain de l’arctique! L’ours blanc se dandine sur la plage. Un regard rapide dans notre direction.. je crois qu’il nous souhaite la bienvenue au Canada Nunavut!
Allez! Encore 40 milles nautiques et des belles conditions de vent pour arriver à Pond Inlet le 2 août à 21h30 (heure Groenlandaise) et rejoindre Inook qui est mouillé devant une nouvelle digue de cailloux devant le village.
L’endroit n’est pas très bien protégé de la houle. D’ailleurs, un léger roulis faillit me donner le mal de mer à notre arrivée!
On se met un fajitas sous la dent et on monte à bord d’Inook festoyer notre traversée avant de se mettre au lit pour une bonne nuit récupératrice!
Au total 400 mille nautiques en 75 heures dans des conditions très agréables pour être situés au delà du 70 degrés latitude nord!
Samedi 3 août: Malgré la vague et le tangage de Morgane on a super bien dormi! On règle nos pendules à l’heure locale: 2 heures de moins qu’au Groenland. Et on s’active pour s’annoncer à l’immigration canadienne. Ici la procédure et les flics sont très agréables! On part ensuite avec Inook au supermarché Co-op pour réserver le camion diesel qui débarque une heure plus tard sur la plage.
Entre temps, Altego 2 et Opale sont arrivés au mouillage.
On passe à la bibliothèque où l’accès à internet est possible et gratuit pendant 30min sur un ordinateur. On tente une douche à l’hôtel mais sans succès!
Opale nous invite à prendre l’apéro à bord! Ça parle de glace, de nave, et de plein d’aventures! Il y a une bonne ambiance!
Dimanche 4 août: Un “Costa glouglou” est arrivé ce matin devant Pond Inlet. Il est temps pour nous de relever l’ancre et de faire un bout de route en direction de l’ouest. Il fait mega chaud (environ 17 degrés) et grand soleil, conditions optimales pour naviguer au moteur jusqu’au nord-ouest de l’île Bylot et rejoindre Tay Bay à 85 mille nautiques. En route, la mer est d’huile et nous permet d’apercevoir nos premiers Narvals (petits cétacés gris tachetés avec une dent hypertrophiée et spiralée qui peut atteindre 2 mètres).
On longe la côte sud de l’île Bylot d’assez près histoire de peut-être apercevoir aussi des ours blancs. Mais seules des oies des neiges blanches occupent les parages.
A 3h du matin, nous mouillons l’ancre à l’entrée de Tay Bay à côté de Snow White un autre voilier tchèque.
A notre réveil, le tchèque est reparti sans un bruit et Inook nous a rejoint.
En attendant que le vent et la pluie s’arrêtent, on se lave à l’intérieur de Morgane!!! Les cheveux d’abord dans un seau puis le corps à la lavette avec les pieds au chaud dans la bassine! Espace exigu mais opération réjouissante! Puis on passe la journée à l’intérieur de Morgane à lire, dormir et de temps en temps on appelle Pascal et Laurent à la VHF pour converser car il est hors de question de mettre le nez dehors tellement (...)il pleut!
Il est 19:00 (heure locale): c’est l’heure de recevoir notre carte des glaces actualisée envoyée par notre routeur Joël!! On est comme deux gosses se réjouissant d’ouvrir un cadeau tant attendu! Impossible même de s’endormir avant de la visionner!
Cependant elle n’est pas très réjouissante.. Je parle de celle nommée « Approche et Resolute ». Elle nous indique qu’il y a maintenant de la glace au milieu du détroit de Lancaster alors qu’il n'y en avait pas ou plus 2 jours auparavant !! Comme quoi ça n’arrête pas de bouger, d’évoluer, de se densifier ou même fondre!!
Bref maintenant il faut dormir! Bien dormir pour être prêt à naviguer quelques heures voir des jours non stop dans la glace!
Mardi 6 août: 8h du matin, le ciel s’est éclairci et le vent souffle un peu moins fort. Inook est déjà reparti. On se met aussi en route quelques heures plus tard en direction du nord-ouest pour rejoindre un mouillage au sud de l’île de Devon.
La sortie de Navyboard Inlet se fait à la voile. Malheureusement passé le cap Craiford, nous sommes contraints d’allumer le moteur et ceci pendant les 2 prochains jours non-stop. Bon, l’avantage quand il n'y a plus de vent, c’est qu’il fait vite très chaud! On traverse le Lancaster sound en diagonale. Inook est situé à 6 MN en avant. Cependant à la réception de la nouvelle carte des glaces, ils décident de rejoindre Dundas Harbour un peu à l’Est de leur trajectoire car la densité du Pac de glace a augmenté. De notre côté, après étude approfondie de la carte, on décide d’aller voir ce qu’il en est!
C’est à la hauteur de Powell Inlet au 74 20.885 N / 85 40.758 W que nous rencontrons un PAC de glace de 4/10. On le longe le laissant à notre gauche et regardons pour un plan b. Mais plus on approche la côte sud de Devon et aucune eau libre n'est en vue. Alors on tente de passer à travers.
Et ça passe plutôt bien! Robin est perché dans le mât pour une meilleure vue et m’indique les meilleures voies d’eau libre de glace. Au fur et à mesure de notre avancée cette traversée dans la glace devient un jeu. Même quand le brouillard s’installe, on prend un malin plaisir à frôler au plus prêt les floes! Cependant à force de scruter à l’avant de la proue, les yeux commencent à brûler!
Après 60 MN à slalomer entre la banquise de 4/10 à 2/10 de glace, nous atteignons enfin l’eau libre et décidons après une nouvelle carte de glace tout juste reçue, de redescendre au sud du Lancaster sound et rejoindre un mouillage bien abrité à Port Léopold situé au nord-est de L’île de Somerset, pour attendre que la glace fonde plus bas.
On a fait une belle avancée mais il faut que nous patientions maintenant avant de continuer !
Port Léopold est un bon endroit stratégique. Car il nous permet de minimiser les détours au cas où Peel sound venait à s’ouvrir avant Prince Regent sound.
Mercredi 7 août: Il est 22h30 quand nous mouillons l’ancre dans l’immense baie de Port Léopold bien prise dans le brouillard. On distingue des Bélugas qui chassent le long du rivage encore bien encombré de glaces.. nos oreilles se relaxent enfin dans ce silence immense. Allongés et dans un sommeil profond, un fracas sur la coque de Morgane nous sort du lit illico presto! La débâcle a commencé! La marée haute vient cueillir ces débris de banquise côtière et les retire en pleine mer. Des grosse plaques de glace passent alors à côté de Morgane et il arrive qu’elles heurtent la chaîne ou la coque faisant un bruit très désagréable comme si on écrasait des centaines de paquets de chips d’un coup!
Robin sort à chaque choc pour pousser les plaques à l’aide de notre pic à glace..
Jeudi 8 août: Le brouillard s’est complètement dissipé et nous découvrons les lieux où nous sommes mouillés. De hautes montagnes aux sommets plats bordent l’Est de la baie. Une immense plaine désertique occupe le nord et une chaîne de collines s’étend sur la partie ouest. On scrute les environs aux jumelles avant de mettre notre annexe à l’eau. On fait bien car là, juste au bord de la plage à 300 mètre sur la gauche de Morgane, deux taches blanches occupent maintenant les lieux. Une maman ours et son petit font la sieste! Du coup, notre séjour à terre est compromis! On va attendre que Inook nous rejoigne pour débarquer armés!
Laurent et Pascal ne tardent pas trop et arrivent vers 22h. Nous sautons sur leur Boréal pour approcher la berge et observer de plus près les nounours!
A une distance raisonnable, à une centaines de mètres, voilà que la maman ours se lève et dans une marche décidée embarque son rejeton en direction de la montagne afin de le mettre en sécurité. Quant à nous, on reste sur l’eau et allons mouiller avec Inook. Espérons qu’ils ne reviennent pas le lendemain pour nous choper à terre.
On est très content qu’Inook nous ait rejoint. C’est rassurant d’avoir de la compagnie dans ces endroits un peu désolés.. rien que d’un point de vue sécuritaire c’est mieux d’être deux bateaux!
Vendredi 9 août: Encore une journée entière où nous restons cloîtrés dans Morgane! Il pleut et le vent s’est levé et il rentre pile dans la baie ce qui provoque une légère vague et pousse quelques gros glaçons dans notre direction. Rien qui vaille pour aller à terre avec notre annexe. On en sortirait trempés! Du coup, on invite Pascal et Laurent à bord de Morgane pour manger une bonne fondue au fromage suisse!
Tout se passe bien, la fondue se mange, quand soudain après un petit check sur le pont on réalise que le vent s’est accéléré et de gros glaçons se rapprochent de plus près d’Inook.
Laurent et Pascal quittent Morgane dans la foulée et on décide ensemble de lever nos ancres!
Direction l’autre côté de la baie.. cependant ça croche mal et les fonds ne sont pas réguliers.. bref c’est la merde! On retourne s’ancrer à notre spot initial pendant que le vent retombe! Franchement on avait pas besoin de griller du carburant pour ça! Cela dit on est maintenant rassuré de savoir que notre moteur tourne bien après que Robin ait changé les filtres et pré-filtre à diesel ce matin même.
Pascal et Laurent reviennent sur Morgane pour terminer le repas laissé en plan pendant cette heure de digestion!
Samedi 10 août: Toujours chez Léopold.. il est temps d’aller à terre! Pas d’ours en vue juste une petite pluie fine qui rince toute la baie. On embarque avec les deux bretons armés pour rejoindre la plage. À marcher sur le sol jonché de glaise et de cailloux de style ardoise tantôt dur, tantôt mou, nous avons une sensation d’être en territoire hostile. A chaque 10 mètres on scrute l’horizon: devant, derrière, de côté..
Mais que ça fait du bien de marcher!
Nous partons en direction de la rivière pour voir si il y a du poisson. Une maison en ruine (ancien poste de traite) est située juste après au nord-est de la plage. C’est le truc à visiter par ici!
Cependant à quelques mètres de celle-ci, je fais un petit check en arrière... et voilà que j’aperçois au fond de la plaine deux taches blanchâtres, vérification avec les jumelles, je confirme que c’est deux ours! Sûrement la maman avec son rejeton. Ni une ni deux, on rebrousse chemin en direction de l’annexe. Ne pouvant pas être sûrs de leur trajectoire et de la distance qui nous sépare, on accélère le pas !
Mine de rien on s’emballe vite à marcher des mètres .. mais tout finit bien. On arrive à l’annexe transpirants mais rassurés!
On retourne chacun sur son bateau car il est l’heure de télécharger les cartes des glaces.. et ça prend des plombes!!
On reçoit une information très intéressante du spécialiste de la glace de Montréal. Le papa de Robin nous met en contact avec un Monsieur Jacques Collin météorologue à Montréal. Il nous envoie une carte zoomée de l’état des glaces du Peel Sound ce qui accroît notre envie de le rejoindre au plus vite ! On échange nos infos avec Inook. Et dormons un peu..
Dimanche 11 août: Pour nous c’est décidé, on tente le passage par le Peel Sound! Il est 4h du matin et la pluie a cessé. Nous relevons l’ancre et quittons Léopold et Inook. De toute façon c’est le moment de quitter cette baie car de grosses plaques de glace reviennent l’envahir. Nous longeons de près toute la côte nord de l’île Somerset. On aperçoit une dizaine d’ours solitaires qui se baladent le long du rivage. Au fur et à mesure de notre avancée, les nouvelles cartes des glaces ainsi que le vent de secteur Est, confirment notre bonne décision de s’engager dans le Peel! Alors on fonce!
Après réflexion, Inook nous suit quelques heures plus tard! Génial!! Plus sympa d’être en équipe!
Lundi 12 août à 1h15: Nous entrons dans le Peel Sound libre de glace sur tout son côté Est. Seuls quelque morceaux de banquise subsistent mais sont faciles à éviter. La mer est d’huile, pas un souffle de vent. Un brise glace canadien suivi par un bateau ferry de croisière, Le Bremen, nous devancent au petit matin. Inook est maintenant à 13MN devant nous.
Au passage du cap Couman, on touche du vent du sud, pile dans le nez, par rafale de 20kt, ce qui nous ralentit drastiquement! Mais on tient bon. On rase la côte pour éviter au maximum les vagues et la glace.
A la hauteur des îles Otrick, nous apercevons des milliers de phoques qui nagent de part et d’autre de Morgane. Puis arrivés à la péninsule Hurditch, un large cordon de glace du 6/10, nous barre la route. On retourne un peu en arrière et trouvons finalement un passage tout près de la côte. Maintenant le vent souffle de travers et nous permet de bien avancer jusqu’à un mouillage situé à 7MN au nord du Bellot Strait.
Mardi 13 août à 6h20: On mouille l’ancre à côté de Inook et enfin dormons quelques heures au calme sans moteur!
A 16h20, bien reposés, Inook nous dépanne de 20 litres de diesel pour assurer notre autonomie jusqu’au prochain port (Cambridge). Merci les copains! Puis on se remet en route. Ça souffle fort! 35kt d'Est. Ce qui nous permet de continuer notre descente à la voile en direction des îles Tasmania. La clé du passage du Nord-Ouest au niveau des glaces. Car c’est ici à l’entrée du Larsen Sound que la glace peut résider toute l’année!
A 18h, l’entrée ouest du Bellot Strait est doublée à la voile! Sacrée belle étape!
On réalise aussi que ça fait trois ans maintenant que Morgane est rentrée dans notre vie et que grâce à elle et à son cher constructeur bien aimé Philippe Plateau, nous réalisons cet exploit!
Cependant, plus on descend et plus le temps se gâte.. on va se prendre une rincée propre en ordre. A l’approche du cap Sir Nicholson le vent est tombé ce qui nous va bien car la glace est proche. On remet le moteur et rencontrons à nouveau de la banquise de 2/10. Le ciel se noircit de plus en plus. L’eau est maintenant de couleur gris-metal, ce qui contraste bien avec la couleur blanche des morceaux de banquise.
Puis à 30MN des îles Tasmania, c’est au tour d’un épais brouillard de prendre place en plus du crachin breton. Le slalom dans les glaces devient un peu plus compliqué. Mais on y arrive !
Mercredi 14 août à 4h du matin: Nous sommes avec Inook, les premiers bateaux à passer le détroit de Franklin pour cet été 2019. C’est une première victoire! Car le plus dur au niveau de la glace est maintenant derrière nous! Quel soulagement! On retrouve Inook à Pasley Bay pour se reposer. J’ai fait du pain et un gâteau aux pommes, j’ai même profité de la navigation redevenue calme pour me laver les cheveux ce qui me redonne de l’énergie. Cependant, à notre approche du mouillage, Pascal sort sur le pont et nous annonce qu’ils repartent d’ici peu ! La déception est totale!!
Mais effectivement la météo étant favorable, nous ne pouvons pas nous arrêter tant que nous pouvons avancer!
Ici quand tu fais le passage du Nord-ouest il n’y a pas de temps pour faire du tourisme!
De plus un large cordon de 8/10 de glace est en train de refermer le détroit de James Ross pour atteindre l’île de King William. Alors on a pas une seconde à perdre! Si nous voulons rejoindre Cambridge Bay sans devoir passer par Gjoa haven (détour de 100MN), nous devons foncer! Moteur à coin et toutes voiles dehors nous atteignons les îles Clarence vers 23h.
Il fait nuit, tout en assistant à un magnifique lever de pleine lune orange, nous longeons le PAC de glace épaisse où de grosses taches noires (...) sont étendues.. on réalise avec un peu plus de lumière que ce sont des gros phoques! Il y en a partout!
Jeudi 15 août 5h20: On trouve enfin une issue à travers la banquise pour rejoindre le cap Félix.
Voilà ça y est.. nous sommes enfin dans de l’eau libre de glace!
Encore 2 jours de navigation au moteur et à la voile à travers le Victoria Strait puis le golfe de la Reine Maud pour finalement arriver à Cambridge Bay le vendredi 16 août à 20h10.
On se met à couple d’Inook déjà amarré au ponton. Ah Quelle aventure!
Il est tard, on est bien fatigué mais avant d’aller se coucher, on se fait une petite séance débriefing accompagnée d’un petit apéro sur Inook pour célébrer cette première victoire ! On est au tiers du passage du Nord-ouest!
Samedi 17 août 7h: Levés aux aurores pour refaire le plein de diesel commandé la veille par Inook. Finalement ce n’est que vers 9h que le camion citerne arrive au ponton. C’est le week-end le visiteur center est malheureusement fermé ainsi que la libraire de la haute Ecole. Impossible donc de trouver du wifi!
La chance nous sourit pourtant en marchant dans la rue sableuse principale de la ville car nous tombons nez à nez sur Kevin et Steve, deux canadiens charpentiers qui viennent travailler en Arctique 5 mois de l'année. Nous les avions rencontrés à Arctic Bay l'année passée. Ils sont ici cette année. Grâce à eux on peut enfin prendre une vraie bonne douche!! La dernière datant de Aasiaat au Groenland (18 juillet).
En attendant l’arrivée de la flotte des trois autres bateaux, on refait le plein de légumes frais à la Coop! Vers 19h on rejoint Kevin et Steve à l’unique bar du Nunavut pour boire une bière hors de prix à 12 dollars!! De retour au ponton, Breskell et Altego sont arrivés. On se félicite tous!
Dimanche 18 août 8h: Il est temps pour nous et Inook de se remettre en route pour l’Ouest. La météo est en notre faveur pour les trois prochains jours.. il faut en profiter! La mer est d’huile. Il fait grand beau et chaud! Je profite de faire du pain et des bon petits plats à base de légumes.
Notre vitesse de croisière est de 5kt puis passé le détroit de Dease un courant de face nous ralentit à 3.5kt!! La misère ! On est pas rendu! Au milieu du golfe de Coronation on commence à toucher un bon vent d’Est et pouvons continuer à naviguer dans le détroit Dolphin & Union à la voile!!
Le soleil ne monte plus si haut. Si bien qu'il se couche à 22:30 et se relève à 4h48.. la nuit revient ! Heureusement il n y a plus de glace et pas de trafic!
Difficile de reprendre un rythme de quart.. pour ma part je suis raide et commence à trouver le temps long! Même si les bonnes conditions nous permettent de veiller chacun notre tour 5 à 6 heures.. en s’assurant que notre très cher pilote électrique automatique garde le bon Cap! Et dès qu'il y a un petit air on déroule le génois pour avancer plus vite contre ce maudit courant !
Il n'y plus d'oiseaux, ni de phoques.. seules des étendues de toundra et de désert de cailloux à perte de vue. Les quelques sommets qu'on aperçoit n'atteignent que 200m max! C'est monotone !
La pleine lune toute orange nous accompagne la nuit. C'est magnifique de la voir se lever!
Breskell, Altego et Opale vont rester à Cambridge jusqu'à lundi .. ils nous rattraperont sûrement! Inook est déjà bien devant nous. Il est plus gros et son moteur plus puissant ! On se contacte de temps en temps par message iridium! On se raconte ce qu'on a cuisiné et on s'informe de nos progressions.
A partir du cap Thomson ça se complique. Il commence à pleuvoir sérieusement et le vent commence à souffler de l’ouest et nous ralentit encore un peu. Notre cher Jacques Collin, spécialiste météorologue de Montréal, nous informe qu’une grosse dépression nous arrive sur la figure dans 48h.. on ne va pas arriver à rejoindre Tuktoyoktuk d’une traite.
Il faut espérer maintenant que la dépression soit en retard et avancer le plus loin vers l’ouest et trouver un abri.
Jeudi 22 août 9h: On serre les dents .. et rejoignons tant bien que mal Summer Harbour sur l’île de Booth juste après le cap Perry quelques heures avant le fort coup de vent!
Maintenant on va dormir et récupérer le plus possible!
Nous avons quitté le Nunavut et sommes entrés sur les Territoires du Nord-Ouest.
Inook a pris une belle avance et a réussi à passer le cap Bathurst avant la dépression. Ils seront à Tuk bien avant nous. Du coup on ne les reverra pas avant Kodiak là où ils vont hiverner le bateau. Leur bonne compagnie va nous manquer.
Vendredi 23 août: Une légère accalmie du vent et de la pluie nous motive pour aller visiter les lieux et surtout en profiter pour refaire le plein d’eau à la rivière. Cependant on inspecte comme il faut les lieux aux jumelles avant d’aller à terre!
Ça nous a l’air inhabité.. seul un couple de goéland garde l’île. À la descente de l’annexe, malgré tout, un sentiment étrange nous habite. On examine le sol pour voir si on trouve des empreintes de plantigrades.. Seules des énormes crottes de lièvres arctiques et probablement de boeufs musqués sont éparpillées près de la rivière. On se rassure en se disant qu’il ne peut y avoir d’ours ici car la banquise a fondu depuis longtemps et que les phoques sont inexistants. On embarque quand même dans un sac à dos nos fusées de détresse, une corne de brume, un couteau et le téléphone satellite..
Une magnifique éclaircie nous accompagne pendant la balade. Nous découvrons de l’autre côté de l’île de spectaculaires falaises bordées par une eau turquoise où barbotent des Eiders. Il y a aussi une tonne de bois flottés sur la plage de galet. Au retour, on longe le lac et espérons pêcher un poisson .. mais aucune présence ne nous fait signe. On retourne au bateau avec un premier plein d’eau. Puis Robin enchaîne seul les trois autres aller-retour de jerricanes d’eau pendant que je scrute l’horizon depuis le pont de Morgane au cas où une tache blanche apparaîtrait.. mais rien à signaler!
Vers 19h au moment de changer de mouillage pour trouver un spot un peu mieux abrité, un énorme phoque fait irruption à deux mètres du bateau! Nous sommes tous les trois surpris. Il n' a pas peur et reste à nous regarder en faisant la brasse! Il est bien curieux celui-là !
On se rapproche de la plage et ancrons entre un îlot et l’île principale. La manoeuvre est réussie. Les fonds tiennent superbement ! On va se coucher avant que la tempête n'arrive.
Samedi 24 août 6h: Le gros coup de vent a changé d’angle.. notre alarme de mouillage nous signale que le bateau est sorti de la zone de sécurité. Il faut bouger! Et vite! Le banc de sable est maintenant à quelques mètres derrière Morgane! On risque de s’échouer !
Je suis à la barre, Robin devant à l’étrave au moment de remonter l’ancre me hurle « OURS », avec le fort vent qui siffle, j’entends « LOUP » .. je regarde à 360 degrés et percute la grosse tache blanche juste devant l’étrave! C’est bien un ours! Plus précisément une jeune maman et son bébé de quelques mois !
Oh lalalala comme on a eu chaud! A deux fois!!
De une, ils auraient pu nous sauter facilement dessus pendant notre balade à terre, et de deux, ils nous auraient cueillis après notre échouage sur l’îlot!
Mais on s’en sort très bien et allons mouiller quelques mètres plus au nord sous l’oeil bienveillant de maman ours. Ils nous suivent d’ailleurs et se reposent juste en face de Morgane à côté de la petite rivière où nous remplissions nos jerricanes la veille!
Terminé la balade à terre! D’ailleurs on dégonfle l’annexe sur le pont pour éviter aussi au maximum du fardage lors de nos futures navigations au près!
Le temps s'est bien rafraîchi, il fait -1 degré, ça pique le visage.
On va passer notre journée sur Morgane à observer le comportement des ours. Ils ne bougent pas beaucoup. Ils attendent patiemment là couchés derrière un bosquet quelque chose .. on sait pas trop quoi? Ils se font des câlins! Ils sont tellement attendrissants que ça nous donnerait presque envie de se blottir avec eux!
On croise les doigts pour avoir une fenêtre météo convenable pour dimanche et poursuivre notre route à l’ouest et rejoindre Tuk.
On est dans un système dépressionnaire et devons tenter notre chance à la moindre accalmie! Sinon on risque de passer un nouvel hiver en Arctique !
Dimanche 25 août: Après avoir passé notre nuit à changer par deux fois de mouillage à cause des changements de direction inattendus des forts coups de vent, nous remontons l’ancre une bonne fois pour toutes à midi et quittons Summer Harbour et les nounours qui sont toujours au même endroit.
Robin a installé le foc sur le pont. On est parés pour faire une navigation au près serré et rejoindre la mer de Beaufort située à 70MN d’ici. Le vent a bien diminué ce qui nous permet de pas trop galérer à piocher de la vague avec du vent dans le nez.. ça se passe plutôt bien. On tient les 5kt avec le foc, la GV et le moteur.
Lundi 26 août 8h: Au passage du Cap Bathurst un fort courant de face nous ralentit; nous sommes maintenant dans la mer de Beaufort, une mer de couleur brune, agrémentée de vagues hachées et courtes à cause des hauts fonds qu’il y a un peu partout! Ça ressemble beaucoup à la Mer du Nord..
On suit tant bien que mal la ligne des 16 mètres et avançons à 3kt.. heureusement pour l’heure il n’y a que 10 noeuds de vent de face! Encore 120MN .. à ce rythme.. on est pas rendu à Tuk pour mardi matin!
Quelques milles plus tard, Beskell nous a rejoint au gallop comme son nom l’indique. Ils font du 6kt sur le fond à sec de toile et turbo à fond! C’est sûr on se retrouvera à Tuk pour boire un coup!
Quelques heures plus tard, passé le cap Dalhousie, nous voilà contraints à tirer des bords à la voile pour économiser notre moteur qui peine à avancer contre ce maudit courant et le vent de face maintenant établit à 20 noeuds ce qui creuse une vague de plus en plus grosse! On avance à 1,5 noeuds sur le fond.
A l’intérieur de Morgane ça gîte dans tous les sens.. s’ensuit une partie de rodéo!
Robin a hissé le foc pris deux ris dans la GV et mis en place le régulateur d’allure. Et le vent n’arrête pas d’augmenter!
Notre cap est mauvais on remonte en direction du pôle Nord! Mais on s’accroche et espérons une accalmie pour la fin de la nuit et reprendre un cap Sud-Ouest. Un léger mal de mer me cloue à la banquette. Pendant 10 milles nautiques nous faisons route au nord quand soudain Robin aperçoit un poteau planté là au milieu de l’eau! Les yeux rivés sur le sondeur, la profondeur passe de 20 mètres à 3 mètres en une fraction de seconde! Et ce piquet qu’est ce qu’il fout là bordel?
Moment de panique à bord, il me crie « attention je dois virer »!!
Je sens que c’est l’horreur dehors et j’aimerais l’aider mais je suis à deux doigts de me vomir dessus. J’ai juste la force de changer de côté de banquette pendant que Robin s’éloigne précautionneusement de cette zone dite « caution area » et mal positionnée sur la carte!
Puis Il va passer une heure sans quitter le sondeur des yeux. Et dormir à coup de quelques minutes tout habillé à même le sol entre la cuisine et la table à carte. Au petit matin, le calme est revenu et je le relaie enfin après qu’on ait remis le moteur et cap sur Tuktoyaktuk. On a eu chaud!
Mardi 27 août à 20h43: On y arrive enfin en début de soirée accueillis chaleureusement par nos amis du Breskell. On se met à couple et sommes invités à manger à leur bord. Leila, leur équipière, nous a préparé un magnifique saumon offert par un pêcheur local. Pendant qu'Olivier répare le trou causé par un growler à l’avant de son bateau.. .. no comment !!
Enfin juste pour faire court : ils ont heurté le seul et unique bout de glace qui dérivait sur nos routes à la hauteur du cap Bathurst! Vraiment pas de bol! Ils s’en font un par année!
Heureusement, Olivier le capitaine, charpentier naval, a construit lui même son Breskell en bois et peut de ce fait étanchéifier la brèche sans problème!
On se retrouve enfin comme l’an dernier tous à bord du Breskell et trinquons à une amitié forte dans ce monde rude du passage du Nord-ouest.
Les deux tiers du Passage sont faits!
On s’endort comme deux grosses masses avec la tête qui tourne un peu.
A 6h du mat réveillé par « un bang » sur le balcon de l’étrave.. c’est Snow White qui s’amarre sur nous! Même pas un bonjour ni une excuse de nous sortir du lit de la sorte .. pas très cordial ce Tchèque !
Quelques heures plus tard on se met en route pour une petite session fitness pour refaire le plein de diesel de nos 15 jerricanes de 20l et 25l. Heureusement la station service est située à 50m du ponton. Puis nous partons visiter la ville pour se dégourdir les jambes et dérouiller les hanches.. car ça fait bientôt 1 mois qu’on navigue sans pouvoir faire des grandes marches à terre. On refait un petit plein de légumes et de cornflakes!
Désespérant de trouver du wifi et une douche nous rentrons sur Morgane et je me lave les cheveux dans la bassine pendant que Robin fait la vidange d’huile et change les filtres. On a zappé la sieste..
En début de soirée on accueille Olivier et Eric pour boire une bière à bord de Morgane. C’est déjà minuit on n'a rien vu passer !
Jeudi 29 août, 8h: On largue les amarres de Tuktoyaktuk. Breskell nous emboîte le pas. Snow White reste au ponton car son réducteur est à nouveau cassé.
Le beau temps est finalement revenu! La mer s’est bien calmée. Ça fait du bien de reprendre la route sous ce beau soleil.
S’ensuit 2 jours de navigation tranquille au moteur pour changer et rejoindre un abri situé à 30MN à l’ouest juste après Kaktovik en Alaska.
Un fort coup de vent d’Est est annoncé pour le week-end. Dommage qu’il soit si fort car on aurait pu avancer à la voile jusqu’à La pointe de Barrow! Cependant notre chère Morgane est trop petite pour encaisser du 50 noeuds avec une vague de 4m hachée.. et nous de même pas très envie de tenir la barre pendant 48 heures dans le froid et à recevoir des paquets d'eau dans le cockpit.
Samedi 31 août 8h: L’accès dans la baie de Simpson Cove nous fait des belles frayeurs car il n’y a pas beaucoup d’eau dans la passe et ça commence à souffler bien fort. Il y a des déferlantes de partout! L’îlot que nous devons contourner et pourtant noté sur la carte est inexistant.. le sondeur mesure 5m puis 2m10 puis 1m70.. olalaala on est à deux doigts de l’échouage ! On continue malgré tout jusqu’au fond de la baie.. et mouillons deux ancres à 1,70 mètres d’eau avec comme fond de la vase sous le regard d’un couple de phoques! Ça y est! Ils peuvent venir les 100km à l’heure de vent, on risque pas de bouger d’un poil!! Mais plutôt on risque bien de rester bloqué ici pendant un moment... Le vent souffle fort très fort et on réalise quelques heures plus tard que le bassin se vide sous les rafales incessantes!! L’eau est maintenant plus brune que notre noix de coco!!
On commence déjà à prévoir des plans B pour repêcher nos ancres et ressortir Morgane de la baie sans s’échouer complètement! Finalement le niveau d’eau de la baie est descendu de 20cm dû à la pression du vent et même à marée basse il nous laisse les derniers quelques centimètres sous la quille pour rester en flottaison.. oufff...
Malgré ce petit tracas, on est bien protégés. Le ciel se dégage petit à petit et nous pouvons admirer la magnifique Chaîne de Brooks au fond de la vallée de la toundra. Les pics de 2000m sont encore enneigés et bien vertigineux. Des envies de ski nous montent à la tête!
Pendant ces deux jours de pause on essaie de dormir un maximum.. d’ailleurs ma sieste se transforme en 14h de sommeil! Pioouuf j’avais besoin de récupérer! On fait du pain, un gâteau aux pommes et on télécharge la météo toutes les 6h. C'est devenu notre rituel.
Une petite séance coiffeur s’impose pour Robin. Il n’y voit plus clair! Deux trois coups de ciseaux et l’affaire est réglée! C'est un homme nouveau!
Le phoque vient de temps en temps nous dire bonjour. Un instant il toque contre la coque et essaie de se hisser sur le pont de Morgane! Étrangement curieux!
Grâce à ces deux jours de vent super fort notre éolienne a ressuscité! Elle tourne maintenant comme un moulin et permet de charger nos batteries propre en ordre!
Lundi 2 septembre 13h: Il est temps de repartir. On est bien reposés et profitons du reste du vent d’Est pour continuer vers l’ouest!
On remonte nos ancres tranquillement sans avancer au moteur car plus on ramasse de chaîne plus le fond monte. On est à 1m40 d’eau au dernier mètre. Il reste donc 10cm sous la quille du bateau! L’opération est délicate et un peu stressante mais tout se passe bien et Morgane pivote tranquillement sur elle même poussée par le vent en direction de la sortie. Enfin, une autre sortie car la passe par laquelle nous sommes entrés est maintenant fermée. Ça déferle sec! Alors on tente de continuer le plus à l’ouest de la baie en espérant trouver une autre issue. On navigue au feeling le plus proche du banc de sable pour mieux apercevoir un trou où il y a moins de déferlantes. C’est quelque peu flippant car pour passer l’issue, des grosses vagues de 4m nous attendent de l’autre côté ! Moteur à coin en plus du Génois pour pas se faire choper par une vague. Je barre Morgane comme si j’étais sur ma planche de surf et essaie de monter au “pic” sans me faire engloutir par une mousse! Enfin sortis, nous voilà confrontés à des immenses talus et le vent souffle encore bien fort. Il était sensé diminuer pourtant.. ??
Pendant 24h on ne va donc pas pouvoir lâcher la barre. On va faire des surfs à 9 knots. On va se faire chahuter. Une vague tellement grosse va même me propulser à l’avant du cockpit et me faire lâcher la barre ce qui fait partir Morgane au Lof (au tas). Bref c’est effrayant, fatiguant, éprouvant. Je suis à bout. J’en peux plus.
Cette mer de Beaufort nous en fait voir de toutes les couleurs jusqu’au ciel où nous apercevons à nouveau des étoiles et la dance des premières aurores boréales qui apaisent de peu notre ras le bol.
Mercredi 4 septembre: Enfin on y arrive à cette pointe de Barrow tant espérée et tant rêvée! Peu après 10h on aperçoit le petit phare et la langue de terre basse qui s’avance. Voilà Barrow! Le point le plus septentrional des Etats-Unis. A 12h40, ce 4 septembre 2019, Morgane double le cap et entre dans la mer des Tchouktches.
On tente de contacter la police de Barrow pour avoir l’autorisation de venir à terre et refaire le plein de fuel de quelques jerricanes histoire d’avoir un peu plus de marge pour le reste du parcours jusqu’à Nome. Je tombe sur une charmante dame qui essaie de me transférer chez le bureau d’immigration à Anchorage. Personne ne comprend notre requête et la communication via satellite n’arrange pas les choses. Ça coupe et ça grésille. Bref après plusieurs appels, on laisse tomber notre ravitaillement et poursuivons notre route en direction du Sud en faisant un maximum de voile.
Nos chers compagnons sur Inook qui sont déjà arrivés à Nome, nous informent qu’il y a pas mal de courant de face (2,5knots) pour changer dans le détroit de Béring. Ce que nous confirmons à peine passée la pointe de Barrow, et les fichiers météo changent toutes les 24h..
La période des grandes dépressions a commencé dans cette région.. il va falloir prier très fort et implorer Eole pour espérer passer entre les coups de vent et ne pas devoir naviguer dans du gros temps.
Jeudi 5 septembre: Juste avant le Cap Icy on pensait s’arrêter 24h voir 48h le temps de récupérer un peu et attendre qu’une dépression passe. Cependant, après consultation incessante des fichiers météo, qu’on relève toutes les 6 heures, on décide de poursuivre non stop car ça a l’air de bien se peaufiner plus bas! Et il ne faudrait surtout pas manquer une aussi belle opportunité de passer entre les gouttes et finaliser le passage du Nord-ouest en beauté.
De toute façon, on est maintenant bien amarinés et avons trouvé un certain rythme de croisière donc plus besoin de s’arrêter! On se reposera à Nome situé à 900km plus bas..
La mer des Tchouktches est bien plus clémente et agréable à naviguer que sa voisine. Il fait agréablement chaud. L’eau à 15 degrés donne une température très agréable à l’intérieur du bateau. On avance pas trop mal malgré ce courant de face, et les bonnes conditions de vent nous permettent enfin de naviguer à la voile! Un peu humide tout de même, heureusement Zoro notre super pilote automatique à vent prend un plaisir fou à barrer Morgane sous les trombes d’eau.
Vendredi 6 septembre à 20h15: Et ça double le Cap Lisburne. La météo est toujours favorable, pas de coup de vent annoncé pour les trois prochains jours. On navigue en alternant moteur et voile..
Passé Point Hope la visibilité devient mauvaise. Un épais brouillard accompagné de crachin nous accompagne toute la nuit et le jour suivant. Le temps s’est refroidi. Mais le vent souffle toujours d’Est-Sud-Est ce qui nous permet de naviguer sous voiles et régulateur d’allure et on en profite pour enfin bien dormir.
Dimanche 8 septembre: La côte de la Sibérie se fait discrète sur notre droite. On remet le moteur en marche pour appuyer un peu notre allure qui a ralenti sous voiles. Toujours très humide par ici!
Une ligne virtuelle, celle du cercle polaire est franchie et nous symbolise une belle progression vers le sud comme si les grands froids étaient à présent derrière nous.
Puis conformément au fichier météo, ce petit coup de vent du sud que nous redoutions nous arrive dessus.. juste 20kt de face.. avec 2,5kt de courant aussi de face.. je vous annonce que notre vitesse est maintenant de 1,8kt sur le fond avec le moteur à coin! Oh Misère!!! Et ça va durer 10h..
Alors on tire un long bord en direction du Sud Est au près serré afin de se rapprocher au max de la côte de l’Alaska et d’y trouver un refuge dans le “shoal” et attendre que ça se calme!
Plusieurs vagues passent par dessus le pont venant s’écraser sur Robin qui tient comme il peut la barre et moi j’éponge l’eau salée qui ruisselle à l’intérieur de Morgane. (Il faut vraiment que nous modifions cette entrée.. mais c’est pas le moment de penser à ça).
Jusqu’au bout ce passage nous tient en haleine, teste notre résistance, notre volonté, nos nerfs. Il veut nous montrer que jusqu’à la fin c’est lui qui est le plus fort et nous ne sommes pas les bienvenus sur son territoire. Ici en Arctique on n’a pas le droit à l’erreur et surtout on ne peut pas se relâcher tant que c’est pas fini! L’Arctique ça pardonne pas! Il faut faire juste et surtout au bon moment ici!
Enfin c’est à 00h49 ce lundi 9 septembre 2019 que Morgane double le cap de Prince of wales à la sortie du détroit de Béring, et le passage du Nord-Ouest est accompli.
Nous allons nous reposer à Nome en attendant qu’une prochaine fenêtre météo nous permette de continuer au sud en direction de Kodiak. Je crois qu’on ne réalise pas encore ce qu’on vient de faire... en tout cas une chose est sûr c’est que nous ne le re- ferons pas!
O Captain! My Captain!
O Captain! My Captain! our fearful trip is done;
The ship has weather'd every rack, the prize we sought is won;
The port is near, the bells I hear, the people all exulting,
While follow eyes the steady keel, the vessel grim and daring
Walt Whitman (09 mars 1887)
Un immense Merci à:
Joel Praz notre routeur principal et François Kislig (papa de Robin) - Stephane Teichmann pour la meteo - nos familles et amis pour leurs messages d'encouragement - Inook, Breskell, Altego 2, Opale, Alioth, Moli et Mirabelle pour ces moments de partage et de solidarité inoubliables dans l'arctique.
On était prêt...
Acheter et stocker des vivres...
S'équiper chaudement...
Rajouter de la couleur au bout du mat, se protéger du vent dans le cockpit... et réduire l'humidité dans le bateau!